Jeudi 2 mai 2019, Héraklion ... pas mal !
Départ aux aurores d'Eysus : 3h30, le clairon sonnait !
"Quel est le sous-traitant ?" ... "Aegean ... ". L'employé réitère sa question. Je renouvelle ma réponse... Je suis bien à l'aéoport de Blagnac. J'ai pris un billet Toulouse-Héraklion pour un vol direct par la compagnie Aegean. Tout s'est très bien passé avec pour le vélo un paiement direct à la commande, une pratique bien préférable à celles des autres grandes compagnies aériennes qui font durer le suspens jusqu'au jour du départ du fait de l'incertitude du transport du vélo dans le même avion que le bipède. Le sous-traitant était Avia. C'était pour savoir qui devait porter le carton-vélo dans la soute à bagages de l'avion. Un SMS de Gérard me disant que ma voiture est parquée chez mon fils. Sympa Gérard de m'avoir dépanné en me conduisant à Blagnac.
Vol sans histoire Toulouse-Héraklion. Pas une place de libre. On comprend quand on voit le monde (touristes) et le climat de la Crète en cette saison. Les sommets sont enneigés, le soleil ravive les belles couleurs de la mer, une brise pas trop forte atténue l'impression de chaleur.
Un peu de bazar quand même à l'aéroport pour récupérer les bagages. Un beau taxi Fiat doblo pour le carton-vélo et c'est la descente vers l'hôtel Rea tout près du port. Le Mulet est remonté, gonflé. Premier problème à résoudre : le carton-vélo que je dois récupérer pour le retour ! Le tenancier de l'hôtel me dit qu'il faut lui trouver une place ... demain !
Un petit tour en ville pour mes vivres de demain et pour reconnaitre la sortie de la ville d'Héraklion. Le départ sera un peu tardif en raison de l'heure du petit-déjeuner (à partir de 8h) : pas très adapté aux habitudes du Mulet. Une moussaka-bière ce soir ...
Vendredi 3 mai 2019 - Tzermiado, les moulins à vent du plateau de Lassithi
Belle entrée en matière mais juste en fin de matinée ! Le départ de l'hôtel Rea à Heraklion a été un peu stressant : le tenancier de l'hôtel n'avait toujours pas trouvé de solution pour garder mon précieux carton-vélo avec mes affaires de change du retour en France, quelques soucis de vis de béquille foirées, et mes roues un peu voilées qui me faisaient tressauter avec la vitesse dans les quelques descentes ... Sans doute un coup lié au chargement dans l'avion : pourtant il était écrit dans trois langues qu'il fallait le maintenir vertical …
Les 25 premiers kilomètres ont été sans intérêt principalement sur une quatre voies avec pas mal de trafic et une chaussée gorgée de trous et d'objets perdus de toutes natures. En revanche, dès la sortie de ce couloir de grande circulation, la paix était revenue. Route sinueuse et montante, progressivement d'abord, puis plus sévère dans les derniers kilomètres pour accéder au plateau de Lassithi. On remonte ainsi une vallée avec quelques rares villages, une végétation qui fait penser à ce que l'on trouve sur les versants sud aragonais : oliviers, amandiers, chênes kermes ..., quelques rares chèvres dont on entend surtout les clochettes, et une énorme retenue d'eau.
Au fur et à mesure de la montée vers le plateau de Lassithi, la chaussée se rétrécit simplement marquée par deux bandes blanches latérales sans marquage central. Là, le bipède cycliste est aux aguets l'oeil de gauche rivé sur le rétroviseur (neuf plus large que celui que j'avais : 8 cm de diamètre ... il faut au moins cela !), l'oeil droit inspectant les défauts de la chaussée pour éviter trop d'a-coups. Nombreux sont voitures, bus, motos, scooters qui font la balade du plateau de Tassilhi où l'on peut voir les fameux moulins à vent qui ont permis d'avoir de l'eau. Quelques-uns fonctionnent encore pour les quelques cultures que l'on y trouve notamment pommes de terres, mais surtout maintenant maraichage.
Direction Tzermiado maison Kronio ! C'est la bonne adresse donnée à l'oreille par Jean-Yves qu'on ne peut ne pas trouver car ... située à un carrefour stratégique (passage obligée) où l'on se fait alpaguer par le patron des lieux qui d'emblée en me voyant parle français. J'y trouve d'autres français et la patronne qui est française. Je commande des côtelettes d'agneau avec des frites plus un verre de rouge. Le patron m'offre un apéro maison et le petit verre de raki en fin de déjeuner. Je demande une chambre, et c'est un appartement avec cuisine, chambre, salle de bain qui m'est alloué avec possibilité d'utiliser la piscine de la maison !
Bonne entrée en matière donc ce vendredi 3 mai avec une bonne dénivellation montante. Et puis ... durant presque toute la montée la vision enneigée des plus hautes montagnes de l'Ile, le massif du Psiloritis ! et ... aussi un très beau rucher dont les visions me réconfortent toujours un peu.
Héraklion - Tzermiado, 58 km +1307 m -471 m
Samedi 4 mai 2019 - Mochlos, deux heures de privilège …
Un préalable d'abord pour souligner la très grande qualité de la Maison Kronio à Tzermiado : produits locaux cuisinés avec délicatesse, accueil familial des deux époux Christine (française) et Vassilis, gite très confortable et calme, prix très correct. Un peu de pub pour eux : www.kronio.eu
Aujourd'hui, un peu comme d'habitude, je suis parti à 7h au point du jour. C'est dans les premières heures du jour que l'ambiance, le ressenti, le plaisir de pédaler tranquillement, la route libérée de tout véhicule, sont les plus insolites et, pour moi, le plus apprécié. La neige plâtre encore un peu les montagnes alentours. La température est encore un peu fraiche. Direction vers l'Est vers Agios Nikolaos d'abord puis Mochlos, tout petit port que l'on atteint après une descente ... qu'il vaut mieux éviter de remonter. Les vitesses du pédalier passent bien, bifurcation à gauche à deux kilomètres de la Maison Kronio, le Mulet s'élève régulièrement pour donner une splendide vue panoramique du plateau Lassithi jusqu'au fin fond du plus haut sommet de Crète qui, en une nuit (?), a vu sa couverture blanche quasiment disparaître !
Passé un col, on change complètemisent de paysage et de sensations. La descente est aisée sur une petite chaussée avec moult virages. L'air est moins vif, les oiseaux chantent de plus en plus. Pas d'autres bruits. Quelques hameaux originaux sont traversés avec notamment quelques mounaques artistiquement habillées. Et ... des clarines tintinnabulent. Dans le silence du matin, un troupeau de brebis montent vaillamment marquant de pointillés tout ronds le passage du troupeau. Je suis posé le long d'un mur, écoute la mélodie qui s'éloigne ... Le silence plein du paysage qui m'entoure invite à la rêverie ... Les oliviers, les amandiers apparaissent puis quelques vieilles vignes un peu laissées à l'abandon. Le fond de la vallée approche : direction la grande ville d'Agios Nikolaos. Je me faufile dans le centre-ville dans une ambiance bien sûr totalement différente des deux heures précédentes. La plage est atteinte, des parasols sont alignés sur le sable sans personne dessous : c'est trop tôt. Retour rapide pour prendre la route côtière sur une vingtaine de kilomètres. Mais là, aïe ... Eole pointe son nez ... pile devant mon guidon. Ce ne sera que sur cette portion. Je fais le gros dos pédalant tout petit jusqu'à joindre la grand-route qui doit me permettre d'atteindre Mochlos, ce petit port perdu tout au fond d'un vallon. Si le vent est moins violent, la pente n'est pas extrême mais c'est un bon exercice de pédalage durant une vingtaine de kilomètres sans discontinuer.
Au passage, arrêt sur le site Minoen réputé de Gournia qui daterait de -1700 à -1450 av. JC. Etonnante ruines accolées les unes aux autres dont le mystère reste encore à éclaircir (à noter l'inventivité prolifique des archéologues qui, on l'espère, finiront peut-être par adopter une interprétation commune ?).
Tout en haut de la longue pente de 20 km, une bifurcation. La tablette est sortie, le signal GPS indique la bonne direction à prendre. Et c'est alors une descente freins serrés sur cinq kilomètres pour atteindre le petit village de Mochlos après être passé devant une énorme carrière. Hôtel Mochlos : facile à retenir m'avait dit Jean-Yves ! Le papi de 82 ans patron des lieux mange une salade « crétoise » d'artichauts arrosés d'huile d'olive. Il m'invite après avoir rempli un verre de vin rouge de sa production. Evidemment, je ne me fais pas prier.
Tzermiado - Mochlos, 81 km +1111 m -1905 m
Dimanche 5 mai 2019 - Analipsi, entre les coups de vent et les gouttes
Pas bon le temps ! Déjà hier après-midi à Mochlos le ciel commençait à avoir toute la palette des gris, quatre gouttes sont tombées. Cette nuit, la soufflerie d'Eole s'est mise en route avec de furieux coups de boutoir. Réveil à 6h, rapide petit-déjeuner dans la chambre, départ à 6h45.
Tiendra, tiendra pas ? Le ciel n'est pas bien beau, un peu de vent mais il ne pleut pas. La remontée de la fosse dans laquelle se trouve Mochlos n'est pas très facile avec une piste légèrement asphaltée ou cimentée, très étroite et par endroits bien raide. Le village est endormi. Moments préférés du Mulet.
Le programme du jour est normalement d'atteindre Analipsi située au bord de la mer de Libye sur la côte Sud de la Crète. Première destination : la ville Sitia au bord de la mer de Crète. Poncho pas poncho ? Le Mulet renacle donc ... pas poncho. Le vent en rafales chassera les gouttes. Sitia a un aéroport. Grande ville ! Un chapelet d'éoliennes décore les hauteurs alentour. Mais, surprise, elles ne tournent pas ! Peut-être est-ce comme en France où dans certains contrats on n'actionne les moulins à vent que lorsqu'il y a des besoins complémentaires en énergie à assurer. Trouver l'embranchement vers le Sud nécessite d'entrer dans les rues déjà bien agitées, étroites, pas mal défoncées. Un panonceau très discret indique « Iérapetra ». C'est la bonne voie. Mais c'est aussi une direction de pédalage Nord-Sud, alors ... j'ai dû essuyer de très nombreux souffles très déstabilisants durant 30 km. Casser un peu la croûte par deux fois, boire un grand coup, et le bonhomme repart en adoptant la stratégie la moins coûteuse en énergie : ne surtout pas forcer quand on reçoit les rafales de vent, tenir juste l'équilibre, et forcer à nouveau la rafale partie. Tactique apprise en Patagonie mais ... un peu plus efficace ici que là-bas ! La route grimpe jusqu'à un col sans nom mais là l'effet Venturi devient redoutable puisque la masse d'air soufflée par le vent est obligée de passer dans un couloir aérien qui se resserre, donc ... accélération du vent que l'on reçoit en pleine poire. Toute la zone géographique au Sud de Sitia est très cultivée : essentiellement des oliviers mais aussi des cultures maraichères.
A vrai dire, ce matin je ne pensais pas boucler l'étape prévue en raison des aléas météorologiques. C'est passé. La descente vers Analipsi au bord de la mer de Libye fut assez facile malgré les rafales d'Eole. La côte est très touristique (style Costa Brava). J'ai trouvé une chambre chez un couple grec (elle, allemande) tout près d'un beau rucher Langstroth, un peu sur les hauteurs. Et j'ai - pour la première fois en Crète - trouvé des pâtes carbonara !
Journée un peu éprouvante par la somme des montées et surtout ce fichu vent de face durant la trentaine de kilomètres après Sitia.
Demain courte étape pour juste atteindre Iérapétra.
Mochlos - Analipsi 67 km +1399 m -1412 m
Lundi 6 mai 2019 - Iérapétra, et ... mon passeport ?
Analipsi, Iérapétra, de curieux mais bien jolis noms ! Au-delà du regard un peu critique que l'on peut avoir sur une grande hétérogénéité des constructions (un peu moins pour Iérapétra), sur le développement des cultures sous serre qui badigeonne de blanc sale le paysage, sur les kilomètres de tuyaux noirs qui s'accrochent tant bien que mal aux poteaux, aux murs, sur les arbres ... on trouve un point commun : la qualité de l'accueil que l'on devrait d'ailleurs pouvoir probablement généraliser à l'ensemble des Crétois. A Analipsi, alors que je m'apprétais à enfourcher le vélo, mes hôtes d'un jour ont tenu ce matin à m'offrir à nouveau un café grec agrémenté de patisseries faites par Madame. Monsieur est un ancien juge, musicien à ses heures, collectionneur de vieux postes TSF qui tapissent tout un pan du séjour. Petit point de délicatesse : ils ont ouvert la télévision sur une émission d'Arte en français, alors que le couple n'en comprend pas un mot.
Petite étape aujourd'hui pour rejoindre Iérapétra par le bord de mer. Un peu de montagne russe avec une circulation un peu bruyante, le rétroviseur est bien utile. Le soleil semble revenir doucement, les serres sous plastique commencent à apparaître. La montagne à ma droite est encore cachée par des voiles nuageux pas très sympathiques. L'entrée dans Iérapétra est un jeu de labyrinthe pour trouver Popy Appartments où m'attend un superbe lit king size. Mais ... la tenancière me demande fort logiquement mon passeport. Facile à trouver puisqu'il est toujours à la même place. Après avoir tourné et retourné tout mon barda, à l'évidence je ne l'ai plus !
Pause réflexion : je mets ma tête à réfléchir à l'envers. Soit il est à Héraklion, soit à Tzermiado, soit à Mochlos. Après coups de téléphone à Stelios de l'hôtel Rea à Héraklion, puis à l'hôtel Mochlos, la certitude est là : le passeport est à Mochlos. Et c'est là que la gentillesse et la délicatesse crétoise s'affiche encore. Poppy, mon hôtelière de Iérapétra, m'a proposé de téléphoner. Puis, elle se propose d'aller chercher avec sa voiture LE passeport à une station service qui se trouve sur le chemin du retour de Mochlos à Héraklion, passeport qu'un client de l'Hôtel Mochlos devrait déposer dans la soirée d'aujourd'hui à ladite station-service, à la demande du tenancier de l'hôtel Mochlos ! C'est compliqué ! Est-ce que cela va marcher ? …
Pourquoi ce passeport est resté à ... Mochlos ? A l'enregistrement, on demande une pièce officielle qui est souvent rendue de suite. A Mochlos, pendant que le fils enregistrait ma fiche, je goûtais les artichauts et buvais un coup avec le père. Comme le lendemain matin je suis parti avant que la réception ouvre, le passeport est resté en rade à l'hôtel. Morale de l'histoire : reprendre de suite après l'enregistrement ses papiers !
L'étape était courte car je voulais visiter un peu la vieille ville surtout le port, le fort médiéval, la maison où Napoléon aurait dormi. Mais le passeport m'a un pris la tête. Rien de tout ça. Demain, montée vers Ano Viannos normalement si le passeport arrive ce soir, courte étape mais il faudra je pense mouliner pas mal.
Analipsi - Iérapétra, 31 km +302 m -280 m
PS : 19h J'ai le passeport !
Étonnante la chaîne de solidarité : l'hôtelier de Mochlos qui a donné à un client qui a accepté de s'arrêter à LA station essence sur la route d'Herakion donc au nord de l'île puis mon hôtelière qui a accepté de traverser du Sud au Nord en voiture pour récupérer le passeport, revenir et me le remettre et sans accepter un quelconque défraiement. Le genre humain a encore de bonnes ressources. Tout cela s'est passé en 5h. A noter : Poppy à Iérapétra accueille tous ses locataires avec des petites pâtisseries faites par sa maman et avec du raki fait par son papa !
Mardi 7 mai 2019 - Ano Viannos, un village martyr qui revit
A l'Ouest de Iérapetra s'étale sur des dizaines de kilomètres tout un ensemble de cultures sous serre. Ce n'est certes pas la mer de plastique mais le naturaliste n'est pas très à son aise dans ces paysages aussi confisqués. Ma route ce matin longe la côte de la mer de Libye jusqu'à Mirtos. La sortie de Iérapétra est un peu bizarre car on a tendance à vouloir passer par le plus direct c'est-à-dire ici le plus souvent prendre le sens interdit. Sans doute la logique de la circulation automobile n'est-elle pas celle des cyclistes.
Jusqu'à Mirtos, c'est une occupation par les immeubles et les serres quasiment continue. Heureusement que la mer conserve ses magnifiques couleurs qui vont du vert au bleu moiré selon les endroits. A Mirtos, embranchement à droite pour entamer une très longue montée jusqu'à Ano Viannos. 25 kilomètres sans relâche ou presque avec le plus petit développement. C'est long, très long. La circulation est quasiment nulle. Le vélo retrouve les belles odeurs de la montagne. Beaucoup de points hauts sont marqués par des chapelles toutes fermées. Arrive un grand carrefour avec un immense monument qui fait prendre conscience des terribles tragédies de la deuxième guerre mondiale. Massacre par les nazis de plus de 500 habitants d'une vingtaine de villages autour d'Ano Viannos, et destruction des maisons et des récoltes.
Le village d'Ano Viannos, perdu au milieu des montagnes, revit avec des services publics (poste, santé) qui demeurent très malgré le peu d'habitants présents.
Iérapétra - Ano Viannos, 50 km +1065 m -517 m
Mercredi 8 mai 2019 - Timbaki, après une très belle vallée
Très bons les œufs frits des poules de l'hôtelière ! A 6h avec un vrai café, une orange et un yaourt, ça recharge un bonhomme.
Il faisait frisquet ce matin à près de 1000 m. Je passe devant l'arbre énorme qui doit bien faire 10 m de circonférence (photo à venir). Le village d'Ano Viannos est encore endormi.
Sans l'imaginer, je vais traverser une vallée suspendue magnifique pour le pédalage : très peu de véhicules, une chaussée à peu près correcte mais avec tout de même pas mal de rigoles de 10 cm de large qui font sursauter le mulet, un paysage façonné par et pour les oliviers et les vignes. Plein de petits villages doivent être traversés. Ça monte un peu, fort parfois, mais on ne sent presque pas l'effort.
Arrêts photos de temps à autre pour illustrer différentes manières de travailler le sol. Quelque chose frôle ma cheville...C'est un chiot sorti d'on ne sait d'où qui vient chercher une caresse.
Pas de mère à l'horizon. Bizarre ! Un petit orphelin ... qui cherche un maître ! Je file pour le semer. Il va vite le bougre, et pousse des petits cris qui feraient craquer n'importe qui. Pas question ! Un tracteur vient en sens inverse. Je fais signe pour que le conducteur le voit et ... s'en occupe. Le chiot ralentit, j'en profite pour dégager le plus vite possible.
Un bruit feutré, tout doux, au rythme très lent. C'est un Massey Ferguson de « l'après-guerre » qui arrive : magnifique ! je passe Pyrgos, Asimi, et arrive sans trop m'en rendre compte à Vori où j'ai prévu de m'arrêter. L'auberge que j'avais repéré est sur les hauteurs du village. Deux coups de sonnette : pas d'aubergiste apparemment. Je descends au centre de ce village bien endormi. Une placette, quelques arbres pour la chaleur, quelques vieux sirotent un café. Je demande un plat de nouilles. Non, un Café ça sert du ... Café. Ce village me paraît bizarre et pas très accueillant. Je décide de filer vers la mer. Timbaki est à quelques km, une petite ville mais construite tout en longueur de part et d'autre de l'artère routière centrale. Rien ne m'attire vraiment. Je continue droit vers la mer. A ma droite Little Inn. Exactement ce qu'il me faut à deux pas du port. Ce port qui ressemble à un bien trop grand costume quand on voit le tout petit nombre de bateaux. En tout et pour tout quatre petits rafiots de pêche. Pas mal de bars, restaurants qui attendent le client. Je m'arrête prendre un café glacé en attendant que je puisse m'enregistrer à Little Inn, et prendre une bonne douche.
Belle et bonne balade aujourd'hui. La montagne et l'intérieur des terres sont tout de même plus authentiques que le bord de mer. Il reste que les couleurs de la mer de Libye sont vraiment de toute beauté !
Ano Viannos - Timbaki, 88 km +702 m -1253 m
Jeudi 9 mai 2019 - Plakias, après encore des paysages somptueux
Chaque soir, on m'offre le raki le plus souvent fait maison à partir de distillation de fruits. Très fort, c'est un alcool que l'on sert en général en fin de repas. Bien sûr, je n'en bois qu'un tout petit verre (à liqueur) pour pouvoir bien dormir et repartir le lendemain en forme sur mon vélo. C'est fait avec une grande gentillesse. Hier, en plus, on m'a offert une salade de fruits. Little Inn est encore un hôtel très bien tenu, avec tout le confort pour bien se ressourcer après le pédalage. Petit bémol : comme souvent ici en Crète, pas de petit déjeuner avant 8h. Les cyclistes perdent donc une bonne heure et demie de bonheur ! Car pédaler aux aurores est un luxe que ne peuvent comprendre que ceux qui ont eu le courage de partir autour de 6 heures
.
La balade aujourd'hui paraît technique en raison de l'ampleur des montées à faire. A la vérité, il y a souvent des portions intercalées qui permettent de reprendre souffle. On prend la montagne et on grimpe. Les serres plastiques deviennent de plus en plus rares au fur et à mesure que l'on prend de l'altitude. En revanche, l'olivier est partout présent avec quantité de vignes basses à gros ceps. C'est aujourd'hui que j'ai vu le plus de ruchers très colorés mais le plus souvent avec un seul corps de ruche. J'avais la route pour moi presque tout seul. L'éclairage solaire enluminait les montagnes enneigées. La température était idéale pour grimper sans anorak.
La route visite tous les villages. Ainsi on traverse Agia Galini, Kria Vrisi, Akoumia, Kissou Campos, Spili. Juste après Spili, j'ai pris un chemin de traverse délaissant la voie principale pour m'enfoncer encore plus profond voir quelques fermes (rares). On tombe alors sur des pentes très raides, des chemims qui deviennent des pistes. Les replats sont maigres qui accueillent oliviers,et vignes principalement. De petits tracteurs quatre roues motrices au centre de gravité bas travaillent soit avec un cultivateur (forme de herse) soit avec un rotavator. Passé un col, la descente devient très raide en bordure de gorges truffées de cavités. Un tout petit village - Frati - est curieusement à cheval entre deux abrupts.
On atteint le fond des gorges de Kourtaliotiko. On passe vite car on voit bien que ça tombe pas mal sur la route ! La chaussée s'est effondrée sur une grande portion. Des gabions sont positionnés pour consolider les bords de la chaussée. Des grillages bien minces sont là plus pour rassurer que pour protéger. Et ... tout au fond des gorges, un troupeau de chèvres essaie de trouver le meilleur endroit pour à la fois se coucher et manger pas loin. Tout au-dessus d'elles, les parois sont trouées de cavités parfois gigantesques et surplombantes.
Une dizaine de kilomètres après quelques montées-descentes, on file vers la mer avec la ville très touristique de Plakias.
En mangeant un bout de poulet, j'observais les autres convives attablés. Ils avaient tous des points communs : ils étaient d'un âge très avancé, ils étaient très empatés avec beaucoup de difficultés pour marcher et pour monter quelques marches, ils étaient trés affalés avec une belle bouteille de vin au trois quart vide, l'assiette restant à moitié pleine. Ils étaient très, très ... Mon assiette était vide, ma bouteille (bière) était vide ... Je suis certainement très mauvaise langue ! Très, très …
Timbaki - Plakias, 56 km. +1081m. -1051 m
Vendredi 10 mai 2019 - Chora Sfakion, nid portuaire qui se mérite
Le temps est bien couvert ce matin sur les bords de la mer de Libye. Je croque vite deux gâteaux, un peu de yaourt, une mortadelle, un bout de fromage, un œuf dur, le tout arrosé de jus d'orange et de café délayé. Ouf ! j'ai failli m'étouffer. Je demande la permission d'emporter un petit croissant et une tout petite chocolatine. L'employé est marocain donc on fait un peu la causette sur Marrakech son origine. Il faut partir!
La sortie de Plakias est tortueuse avec de belles surprises à la clef. On est cueilli à froid dès les premiers hectomètres par des inclinaisons énormes, ... et cela dure jusqu'à joindre la ... route normale que j'aurai dû prendre.Total pour commencer, quatre bons kilomètres sur un chemin empierré tout tortueux et piégeux. Bouchon ! Un troupeau de brebis ! Je reste derrière m'agitant un peu pour faire accélérer le mouvement. Heureusement, le berger est compréhensif, et à ma question 'Chora Sfakion', il m'indique le bon embranchement alors que je m'apprêtais sans le vouloir à suivre une piste qui allait me faire tout redescendre. Ah ! la belle étoile du Berger !
Un gros coup de rein et j'arrive au bitume bien-aimé. Bel exploit de n'avoir pas mis pied à terre. Je dois dire que ce fut digne des plus belles pentes de Thaïlande, et sur piste empierrée.
Un peu de remontant - du lait chocolaté - et ça repart. Tiens, on a fait les foins ! La route est belle, fait de beaux arrondis serpentant dans une montagne très verte où l'on trouve pas mal de petits troupeaux de brebis dont les clarines réchauffent les oreilles du Mulet. Le panorama est immense sur la mer de Libye vue des hauteurs de la montagne. J'ai traversé successivement Sellia, Rodakino, Skaloti. Et ... un homme marche avec deux bâtons télescopiques, un sac à dos, une casquette couvrante sur la tête. C'est un Belge qui traverse d'Est en Ouest la Crète. En causant, on se rend compte qu'on a dormi dans les mêmes lieux. A l'improviste, il demandait s'il n'y avait pas une chambre et chaque fois il trouvait même dans les plus petits hameaux. Magie de l'accueil.
L'approche de Chora Sfakion est très secrète. Certes on suit la route, mais on n'aperçoit d'abord que les blocs ennoyés du port qu'on devine puis l'amas des maisons blanches apparaît au fond d'une vaste crique. La route côtière du Sud de l'île s'arrête là. Chora Sfakion ... le ferry pour ... s'en sortir !
Demain, changement de mode de déplacement : bateau, marche, bateau ..
Plakias - Chora Sfakion, 45 km. +890 m. -894 m
Samedi 11 mai 2019 - Paleochora, après la gorge de Samaria
Grasse matinée. Le ferry qui embarque pour le port de Loutro puis le terminus d'Agia Romeri ne part qu'à 10h30. Aujourd'hui, j'ai prévu de remonter la section la plus belle de la gorge de Samaria, la plus fréquentée de l'île. A ma grande surprise, il est indiqué que l'on peut y trouver notamment le gypaète barbu, le vautour fauve, l'aigle royal alors que depuis Heraklion je n'ai pas aperçu un seul rapace. Sans doute avais-je le nez dans le guidon ? Il faut dire encore que le bétail n'est pas encore trop dans la nature, à l'exception des chèvres ensauvagées que l'on qualifie aussi Cri-cri.
Je laisse Mulet et sacoches aux bons soins d'un employé de restaurant, et pars gaiement avec une sacoche pour garder papiers (passeport !), argent, et un peu de nourriture. La remontée de la gorge laisse entrevoir les étonnantes et nombreuses cavités rocheuses dans les parois plissées comme si elles avaient été torturées. Pas trop de monde. Un guichet avec une grosse tête et un carnet à souche. On entre dans un parc national donc monnaie !... Des passerelles en bois trouvé sur place permettent de franchir à pieds secs le torrent. Il a dû pleuvoir pas mal car parfois l'eau surpasse les blocs de rocher mis en place pour passer à pieds secs.
La section la plus étroite de la gorge reste un peu impressionnante : c'est la porte de fer. Le passage se fait sur des passerelles de bois surplombant le torrent. Une main courante conforte l'indécis pour faciliter la traversée, courte néanmoins. On lit que porte de fer n'aurait pas de sens (porte d'enfer ?). Des ruines sont présentes ici et là témoignant d'une réelle occupation humaine. Ce fut un zone refuge. Cette gorge a servi de chemin de fuite lors de la deuxième guerre mondiale.
L'heure tournant, il faut revenir pour prendre le deuxième ferry qui conduit deux heures plus tard à Paleochora. Les ferries sont en bon état. Ils assurent aussi la mission des express côtiers comme en Norvège puisqu'il n'y a pas de transport routier possible. Ils assurent donc le transport de toutes les marchandises.
Une très belle baie abrite Paleochora. J'ai eu droit à un soleil couchant aux couleurs pastels probablement uniques.
Chora Sfakion - Agia Roumelli - Gorge de Samaria - Paleochora
Dimanche 12 mai 2019 - La Canée (ou Chania), changement d'ambiance
C'est la première fois qu'on accepte de me préparer un petit déjeuner la veille pour que je puisse partir autour de 6h30 ! Maria's hôtel à Paleochora est aussi à recommander pour l'immense panorama qui s'offre sur la mer de Libye (particulièrement beau au soleil couchant), pour la qualité de l'accueil et de la restauration, pour les prix très corrects, pour l'excellence des poissons tout frais péchés. La patronne m'a demandé de venir à la cuisine vérifier la fraîcheur de la dorade que j'avais commandée.
Pour pédaler j'étais donc armé ce matin. C'est un peu à regret que je suis parti de Paleochora.Il faudra y revenir … J'ai pour objectif de traverser la Crète du Sud au Nord en essayant de joindre La Canée que l'on nomme encore Chania, selon que l'on retient plutôt les appellations d'origine italienne, grecque ou turque. Le parcours depuis Paleochora s'est révélé tout en douceur malgré la dénivellation cumulée non négligeable. Il faut dire qu'enfourcher le vélo dès 6h30 apporte une grande sécurité en temps et un grand apaisement à l'écoute de toute la nature qui s'éveille. Très, très peu de voitures, aucun camion, dans les courbes les plus pentues, j'ai eu toute liberté pour passer d'un bord à l'autre de la chaussée. On pédale plus facilement lorsqu'on prend les virages sur la plus grande largeur.
Paleochora - La Canée c'est une histoire de bosses à la géologie très originale qui mérite des éclaircissements. Plein de cavités encore dans cette zone géographique. Le couvert végétal reprend un peu partout avec des plantations d'oliviers partout où c'est possible.
La montagne est toujours très peu peuplée. Quelques villages ou plutôt gros hameaux : Kandanos, Kakopetros, Voukolies, Kamissana. Une ombre volante passe au dessus de ma tête : c'est trop gros pour un corbeau et la forme en ailes cassées est plutôt celle d'une grosse bête. Je lève le nez et reconnais de suite l'allure de l'aigle royal : ailes un peu rabattues, il file tout droit sans un coup d'aile, à vitesse plus rapide que le vautour comme s'il avait pointé quelque chose d'intéressant. Une telle vision me donne toujours la pèche ! Pas mal de chèvres clarines au cou. Sur une crête au loin, quatre éoliennes vont bon train. Beaucoup de ruches encore dont un rucher de près de 80. C'est exceptionnel !
Il a dû beaucoup pleuvoir juste avant que j'arrive car la route est jonchée d'éboulements de terre et de rochers qui n'ont pas encore été enlevés. A regarder de près tous ces terrains sont très instables constitués de roches détritiques enchâssés dans des éléments argileux très réactifs lors d'intempéries un peu intenses.
La mer de Crète est en vue. Plutôt que de prendre la route à quatre voies, j'opte pour la route côtière ou ... ce que je croyais être une route côtière. Je traverse des localités Tavronitis, Molène, Stalos ... pour avoir vite la surprise d'être à La Canée. En réalité, c'est une succession ininterrompue de maisons, immeubles, commerces ... sur la vingtaine de kilomètres de Tavronitis à La Canée. J'ai été dépassé deux fois par un petit train à quatre remorques-wagons chargées de plein de touristes, avec la clochette qui était activée pour avertir du passage.
Trouver l'hôtel que j'avais repéré via Booking n'a pas été de tout repos. Un casse-croûte s'est imposé. Je suis tombé sur une pizzeria aux plats très prisés par les touristes fort nombreux qui allaient et venaient. Mon vélo a fait sensation. On cherche toujours le moteur ! Le GPS et la cartographie de map'me (gratuit) m'ont bien dépanné pour débusquer l'hôtel magnifique à prix raisonnable mais il m'a fallu faire une bonne grimpette sur quelques kilomètres. J'ai un peu rale aussi - signe de bonne santé peut-être ? -. lorsqu'une voiture est passée à dix centimètres. On était en ville donc ça ne roulait pas vite Au feu rouge, je rattrape la voiture, me déporte pour être pile côté chauffeur, lui montre mes deux doigts dans les yeux, et lui fait la distance de 10 cm avec ma main. Il grogne en grec. Et je lui passe devant au démarrage du feu vert bien au milieu avant bien sûr de me rabattre. Le grec a continué à vociférer mais m'a dépassé en faisant un grand déport de plus d'un mètre : merci !
Ah ! Le Mulet était tout content.
Paleochora - La Canée, 78 km +1067 m -941 m
Lundi 13 mai 2019 - Kalives, après un tour aux monastères
Excellente nuit dans un remarquable hôtel très bien tenu et ... sans autre client que moi. J'ai été gâté avec un petit déjeuner copieux. Étourdi autant que le gérant qui m'a fait l'addition, j'ai emporté la clef de la chambre. Quelqu'un viendra la chercher à Kalives où je dors ce soir
Les petites routes sont très nombreuses sur la côte Nord de la Crète. Ça monte encore pas mal, à s'y méprendre quand on ne regarde que la carte. Les deux sont dans la péninsule d'Akrotiri au Nord ouest de La Canée (ou Chania ou Hania). Le monastère d'Agia Triada présente un ensemble bâti en carré très imposant au milieu d'une immense étendue de terre assez peu cultivée hormis l'olivier et la vigne. On y trouve de très gros arbres pluricentenaires. Ce monastère fait un peu penser à un grand étal commercial où l'on fait déguster divers vins locaux et l'huile produite sur les terres. On y présente aussi tout un tas d'ustensiles, d'outils, de machineries anciennes assemblés dans un bric à brac ayant une allure de vide grenier.
Un musée regroupe des icônes très anciennes, des manuscrits, des incunables, des vêtements de cérémonie ... Peu de vie donc dans ce monastère.
Ce n'est pas le cas du monastère de Gouverneto situé à 5 kilomètres du précédent que l'on atteint par une piste de plus en plus escarpée et pentue. Le site est loin de tout. L'entrée est soumise à des règles strictes pour le respect des 10 moines qui y sont présents. L'impression est très différente du premier. Ce qui marque immédiatement est la pauvreté des moyens ne serait-ce que pour simplement entretenir les lieux et bâtiments. Ce serait le plus ancien monastère de Crète datant du XVIeme siècle. Un moine jeune accueille les visiteurs mais se cache vite pour éviter de paraître sur une photo. L'église au centre du monastère est chargée de peintures murales, d'icônes représentant très souvent les moments de la mort du Christ.
Ces deux monastères orthodoxes au départ retirés loin du monde, sont aujourd'hui sous les va et vient assourdissants des avions commerciaux et surtout militaires de l'aéroport tout proche de Chania. La richesse naturelle des lieux est réelle. En témoigne la présence de plusieurs centaines de ruches que j'ai pu voir, ainsi qu'une buse variable faisant ces orbes régulières caractéristiques.
J'ai suivi le plus possible les petites routes côtières pour atteindre d'abord Souda localité principale de la baie qui accueille de très gros paquebots et qui est aussi une base militaire active si j'en juge par le navire parti en mer. Puis, terminus de ce soir : le mignon petit village côtier de Kalives, une échappatoire pour moi à la forte fréquentation touristique de Chania.
Chania (La Canée) - monastères - Kalives, 57 km. +756 m. -875 m
Mardi 14 mai 2019 - Retimno, on y va pour y retourner
Je suis de plus en plus épaté par l'amabilité des Crétois, ces habitants de l'île qui sont pour beaucoup d'origine autre mais qui ont cette particularité de toujours essayer de satisfaire, d'être même prévenant, et curieux de ce que vous faites, vous cherchez, vous ne comprenez pas. Ce matin, j'ai eu droit à un petit déjeuner bien musclé avec notamment deux œufs frits. Il fallait partir en ayant fait le plein !
Petite étape jusqu'à Retimno, ce joyau de Crète où l'on va, où l'on trouve énormément de touristes, mais où l'on se dit que l'on doit revenir après s'être documenté sur les multiples péripéties historiques qui ont affecté cette cité, afin de comprendre les empilements de constructions, de fortifications, de ruines, d'églises ... Retimno est certes devenue La ville où il faut venir parce qu'il y fait bon vivre mais Retimno c'est bien plus !
Pour le cycliste, il faut reconnaître que cette côte Nord de la Crète n'est pas trop faite pour lui. La circulation est très dense, assez désordonnée. Il est obligé souvent d'utiliser la grande route parfois à quatre voies donc assez dangereuse. Les routes et rues secondaires sont pas mal cabossées. Aussi, le Mulet et le bipède qui l'accompagne sont assez satisfaits de repartir demain vers les hauteurs de l'île pour deux jours de montagne. Mais, il faudra appuyer sur les pédales !
Kalives - Retimno, 51 km. +386 m. -389 m
Mercredi 15 mai 2019 - Anogia, versant Nord du Psiloritis
Psiloritis ou mont Ida, plus haut sommet de la Crète à 2456 mètres, encore tout enneigé. A Anogia, petite bourgade tout en pente, l'histoire nous rattrape avec les terribles tragédies de la deuxième guerre mondiale. Tout le village a été détruit par les nazis en août 1944. C'était la troisième fois que ce village était détruit. Il a été rebâti.
Je suis parti ce matin de bonne heure pensant que l'étape jusqu'à ce village des hauteurs serait un peu rude. Le temps m'a aidé : température idéale pour pédaler, légère brise pas du tout gênante, ciel nuageux donc pas de soleil éblouissant. Tout était bien. Sortir de Retimno n'est pas bien évident. J'avais mon fil d'Ariane moderne avec Map's me qui est vraiment un dispositif cartographique très précieux. Malgré cela, j'ai rallongé l'itinéraire de quelques kilomètres. Mais heureusement qu'en plus du gps on a aussi un pif qui fait sentir si on se trompe ! Très utile le pif.
Au début, on est très vite tenu de prendre la route à quatre voies assez dangereuse pas tant pour son trafic, conséquent néanmoins, que pour les énormes trous dans lesquels le Mulet peut se faire très mal. L'entretien des chaussées n'est pas une grande priorité en Crète.
Dès l'instant où l'on quitte le ruban infernal de la quatre voies, tout devient calme, le trafic est presque nul, le bitume est lisse, et ... on entend enfin les oiseaux et non les moteurs. Je me dirige plein Sud vers le massif du Psiloritis, tout encapuchonné de nuages. Le temps idéal pour pédaler tiendra-t-il ? Quelques gouttes m'ont fait douter pour mettre ou non le poncho. Finalement, quasiment pas de pluie. Le plafond nuageux, très bas, a obligé les vautours fauves (enfin je les ai vus) à voler très bas. J'ai pu les observer en passant près d'un canyon où ils planaient probablement pas loin de leurs aires dans ce type de gorge (étroitesse, grande hauteur, orientation Nord-Sud) qu'ils préfèrent.
Des panneaux solaires de grandes dimensions suivant la course du soleil ont été installés dans d'anciens champs. Cinq éoliennes moulinent sur une crête tandis qu'une autre pourtant voisine doit faire grève.
Je traverse pas mal de petits villages : Perama, Mourzana, Garazo, Omala ... pour arriver à Anogia qui est la localité de référence du secteur avec notamment un collège et un hôpital. Peu de panneaux indicatifs. Mais mon fil d'Ariane moderne me guide. Il faut aller tout là haut en montant tout petit petit. Une vieille dame tout en noir me hele comme si on se connaissait déjà. C'est bien là que je suis attendu pour deux nuits. Le temps est toujours incertain, plutôt gris foncé mais sans goutte ... Accueil Crétois avec comme partout du raki.
Retimno - Anogia, 58 km. +1055 m -303 m
Jeudi 16 mai 2019 - Anogia, plateau du Nido et grotte de Zeus
Le Psiloritis est bien tentant. C'est le point culminant de la Crète. L'enneigement est encore à 2000 mètres et ... mes tennis de vélo sont peut-être un peu justes sans bâtons ni piolet !
Journée un peu compliquée parce qu'il faut d'abord se rendre au plateau du Nido à 24 kilomètres.
Dans l'ordre : une sacoche comme sac à dos, short, tennis, un peu de casse croûte; un bon petit déjeuner à 7h ; départ à pied pour auto-stop. Au bout d'1,5 kilometre de marche, un pick up toyota s'arrête. C'est bon pour une grande portion de la montée. Ce sont deux bergers père et fils qui montent traire les brebis. Ça tourne, ça vire à toute allure. Le village d'Anogia émerge d'une mer de nuages. Au soleil levant, c'est très beau mais ... ça va trop vite pour prendre une photo nette.
Je ne bronche pas, tenu solidement par mon bras à la poignée. Tout d'un coup, demi tour. On me dit de descendre, c'est là ... Il me reste 4 kilomètres. Pas un chat, que le fin écho des clarines des brebis.
Beaucoup de brebis et de chèvres sur ces hauteurs d'Anogia. Pas une vache, pas un cheval. Arrivé au bout du bout de la route, de jolis panneaux explicatifs relatifs à l'occupation ancienne des estives, à la présence d'espèces protégées. Et un cheminement pour accéder à la renommée grotte de Zeus enfanté là par Rhéa pour éviter que Cronos son père ne le dévore.
Quelques centaines de mètres plus loin, l'accès est libre mais probablement surveillé à partir d'une heure un peu plus tardive. Le porche est imposant. La neige abondante fait hésiter à descendre plus profond. Le temps est magnifique. Il est bien tentant d'aller plus haut. J'amorce une grimpette dans des éboulis de gros calibres avec des épineux qui griffent pas mal les jambes.
Je monte ainsi 300 mètres de denivellation jusqu'à la neige. Les tennis aux pieds dans ces éboulis piquants et la neige ... pas l'idéal. L'incertitude du retour des 25 kilomètres me fait décider de redescendre. Le sommet était encore à trois heures. Décision pragmatique. Finalement, j'ai redescendu toute la route à pieds. Ça m'a permis de mieux m'imprégner des odeurs de tout cet immense site du Nido, et de voir en particulier ces cabanes rondes tout en pierres plates jusqu'au toit, remarquablement agencées avec un trou central pour laisser la fumée s'echapper. On les nomme 'mitata'.
Les vautours fauves sont venus faire un tour. Beaucoup de brebis dans ces estives du Nido, mais les bergers ne restent pas la nuit avec le troupeau. En marchant à 4-5 kilomètres par heure, j'ai mis 4 heures pour tout redescendre à pied. J'avoue que les jambes commençaient à tirer.
C'est la dernière journée un peu sportive de ce périple en Crète. Demain, je reviens à la 'capitale' Heraklion. A n'en pas douter une autre ambiance.
Anogia - Nido grotte Zeus - Anogia, 29 km de marche
Vendredi 17 mai 2019 - Heraklion, après Knossos de l'époque Minoène
Les jambes étaient dures à me faire avancer ce matin. Ce n'est pas tous les jours que je fais 28 kilométres de bitume, à pied. Le petit déjeuner de Maria propriétaire de l'hôtel Aristea pris en terrasse a tout revigoré. Grand beau encore ce matin. Mais, aujourd'hui se termine le séjour dans les hauteurs de la Crète ! C'est la descente vers Heraklion. Certes, j'ai un jour d'avance sur mes prévisions mais c'est parce que je n'ai pas eu de pépin ni de mauvais temps.
Que c'est agréable de laisser le vélo s'en aller tout seul vous portant et n'ayant qu'à surveiller la direction et un peu la vitesse aussi. Tout là haut une grosse boule comme le point d'un i sur la montagne. On observe le ciel aussi en Crète. Une voix forte, je lève la tête. Un berger pite au sommet d'une colline me fait un grand salut ! Les lacets s'enchaînent avec quelques pauses photos montrant les villages haut perchés. Les oliviers, la vigne mais aussi des noyers garnissent toutes les meilleures terres les moins pentues. Je n'ai jamais vu autant de ruches en Crète. Par centaines avec souvent de gros ruchers mais qui, outre le miel, servent aussi à polliniser et à faire des élevages de reine. Une apiculture très technique donc.
Une grande et belle gorge sauvage : les gorges de Gonies, célébrées par un panneau de Geoparc fort instructif ... et 10 mètres à côté un monument en souvenir de quelques 23 hommes exécutés là par les nazis. La Crète est une belle île mais une île martyre.
Une couverture un peu ocre s'étale au-dessus de la mer de Crète. Cela signifie qu'Heraklion approche. La pollution est aussi sonore. Les témoignages de ce qu'il est convenu d'appeler la civilisation minoene, sont encore bien présents dans plusieurs lieux. En passant à Tilissos, on trouve des ruines de trois villas minoenes. Mais, le site le plus grandiose et le plus fréquenté étant celui de Knossos, j'ai fait le détour par Knossos non sans me fourvoyer plusieurs fois. Incroyable la longueur de la queue pour prendre son billet d'entrée. 15 euros. J'espère que les chercheurs en profitent. Le site paraît subir quelques aménagements probablement fort discutables avec notamment la construction (contemporaine) de structures en pierres sèches mélangées aux ruines originelles. Ce qui est frappant néanmoins est l'ampleur en surfaces et en volume de ce 'palais' plusieurs fois détruit et reconstruit, dont l'origine minoene semble bien établie.
Pendant la visite, le Mulet et ses sacoches étaient bien gardés par un bande de trois copains qui parquaient les véhicules. Redescente vers Heraklion pour trouver la halte de ce soir.
Anogia - Knossos - Heraklion, 56 km +476 m -1240 m
Samedi 18 mai 2019 - Époustouflant musée archéologique d'Héraklion
Avant-dernier jour en Crète ! La visite du musée archéologique d'Heraklion est un passage obligé, paraît-il. Un petit coup de Mulet quand même qui se régale sans forcer pour gagner le centre-ville. L'atmosphère dehors est idyllique : soleil mais pas trop, petite brise marine, ciel d'un bleu immaculé, trafic modéré. Je pose le vélo et les sacoches au Rea hôtel où j'étais le premier jour. Je récupère le précieux carton d'emballage que j'avais laissé avec un change pour le voyage. Je démonte le vélo dans la chambre et cale tout ça dans le carton
J'arpente les rues vers le musée. Un monde fou se presse à l'entrée. Mon tour arrive. C'est journée gratuite pour tous les musées ! Une vingtaine de salles compose l'ensemble. D'emblée je n'en crois pas mes yeux. Les salles sont classées par chronologie. La salle 1 présente les objets les plus anciens. On est chez les Minoens soit au Néolithique.
Sont exposés toutes sortes de vases, coupelles, principalement des objets funéraires mais confectionnés par des artistes avec des formes et des colorations qui dénotent une inventivité exceptionnelle ! On est entre -2500 et -1500 av. JC ! Au fur et à mesure des découvertes de salle en salle, ce qui m'a le plus frappé c'est la finesse, la délicatesse des sculptures, des assemblages, le caractère réaliste de ces objets. Le disque de Festos, le pendentif aux deux abeilles, la déesse aux serpents, la lionne, les sculptures humaines, les vases ...
Tous ces objets ont été trouvés lors des fouilles de tous les sites minoens de Crète. Le fait de les voir rassemblés en un même lieu génère vraiment l'idée de l'existence d'une civilisation qui, malheureusement encore, reste à peu près totalement inconnue. Tout cela donne à la Crète un socle identitaire encore énigmatique, mais au fond tout en accord avec les interprétations et croyances des dieux helléniques. Les batailles et querelles de chercheurs sur le sens à donner à tout cela finiront bien par trouver une conclusion commune, mais est-ce bien nécessaire ?
Le port d'Heraklion a gardé un cachet d'antan avec la forteresse vénitienne qui gardait le port, construite au XVIeme siècle dont la structure intérieure en pierres de taille et voûtée est toujours intacte.
Quelques très anciennes pièces d'artillerie sont encore présentes avec même une importante réserve de boulets de canon. La digue qui protège le port fait au moins deux kilomètres. Ça dégourdir les gambettes en aller-retour. Beaucoup de personnes font leur footing sur cette digue, en regardant bien sûr la montre chrono cardio calor …
J'ai attrapé une bonne suee !