Samedi 4 février 2017 - Lago Llanquilhué - presque parfait
Osorno n'est pas si désagréable qu'on peut le dire ou le lire. Ma logeuse était folle de Paris. Elle m'a montré, ravie, sa petite tour Eiffel en plastique que son frère lui avait rapportée de Paris. Elle était fière d'avoir un français dans son auberge. Petit déjeuner prévu à 8h (c'est tard mais les distances sont moins longues et moins dures maintenant). Personne sauf un client qui vient de Coquimbo pour assister à un mariage (2 journées complètes de bus). Puis l'amoureuse de Paris vient et ne sait que faire pour que le cycliste mange suffisamment.
Départ rapide sans la pluie ! La sortie d'Osorno a été bien étudiée hier avec google maps. Je ne me suis pas fourvoyé comme d'habitude dans les grandes villes. Très plaisante la balade à vélo durant une cinquantaine de kilomètres : pas froid, pas de pluie, pas de soleil, peu de circulation, chaussée quasi parfaite. L'objectif est d'être sur le bord du lac Llanquilhué qui est une merveille d'après ce qu'on peut lire. Comme il ne me reste plus que trois jours de vélo, je dois trouver un point de chute sur le bord du lac pour ce soir sachant que demain soir j'ai prévu d'être à Puerto Varas pour, lundi, finir la boucle du périple à Puerto Montt.
Ce sera Puerto Octay, un village qui ne paie pas de mine mais qui présente à mes yeux beaucoup de qualités : il est au bord du lac donc avec accès au lac, il présente un panorama grandiose sur les deux volcans qui se trouvent à l'opposé du lac : le volcan Osorno et le volcan Calbuco, il est assez peu fréquenté, il possède juste ce qu'il faut comme restaurant, auberge. Les gens se baignent tranquillement au bord du lac. Pas de vent, du soleil ! ... La vue sur les volcans est encore un peu ... bouchée mais peut-être que ce soir le grand nettoyage se fera ?
Et ... trois heures après, le ciel s'est dégagé : beau, le volcan Osorno, cône parfait comme le Villarica. Caloté de neige (et probablement de glace) il ne fume pas. Pas très loin, le volcan Calbuco mais qui n'a pas, et de loin, l'allure de l'Osorno ou du Villarica. Je n'ai plus le temps de grimper l'Osorno.
Un seul défaut : le village mériterait un bon nettoyage des rues et des chemins. Dommage que dans un cadre aussi idyllique, il n'y ait pas ce minimum de prise de conscience d'avoir un village propre.
Rien au vélo ? ... Ben, c'est qu'il n'y a pas eu de soucis aujourd'hui. Je suis aux petits soins avec chaîne et dérailleurs. Pédaler comme si j'avais des oeufs aux pédales, changer de vitesse en faisant roue libre et du bout des doigts, ... il faut que le Mulet me porte encore deux jours !
Curiosité : c'est la première fois qu'à l'auberge on me demande le PDI, le document de la police aux frontières qui montre qu'on n'est pas entré clandestinement. Pourquoi ? Mystère ...
Dimanche 5 février 2017 - Puerto Varas ... Ca sent l'écurie !
C'est pour demain l'écurie ... Aujourd'hui, je continue ma route des lacs chiliens qui - c'est mon opinion - est beaucoup plus agréable, dans un paysage plus aéré avec quelques volcans pointus et enneigés que les sietelagos argentins. Même si les lacs argentins font partie de tout ce qu'il y a de plus beau à voir dans ce pays. Un point commun à tous les lacs chiliens : le temps - quand il ne pleut pas - est vraiment très agréable avec, pour tous les lacs, à peu près la même température de l'ordre de 25°C sans vent mais avec une toute petite brise qui fait apprécier la bière ou la glace. Le potentiel touristique des lacs chiliens est loin d'être saturé. Calme, tranquillité, sentiment d'être partout en sécurité ... c'est vraiment appréciable. Les piétons sont rois en ville, les véhicules s'arrêtant dès que la pointe du pied touche le goudron ...
Ce matin, départ un peu tardif (8h30) et envie de profiter doucement du paysage du lago Llanquilhué que je longe sur sa partie Nord et Ouest. Mais, dès la sortie de la ville, ça grimpe sec. Au moins trois grosses bosses dont une qui assurément a une pente de plus de 13%. Moraines glaciaires ? Certainement si j'en crois les coupes visibles de la route qui mettent à jour les galets enchassés dans du très gros gravier sableux. Les deux volcans Osorno et Calbuco n'ont pas encore quitté leur manteau de la nuit. De très belles demeures datant du siècle dernier avec la forte présence allemande, sont plantées face à un paysage sublime avec l'immense lac et les volcans en fond de scène. De très grands prés sont fauchés, des élevages, des fundos sont éparpillés ici et là le long de ce plateau morainique. Quelques chapelles tout en bois ponctuent la route. Et ... un lodge de classe au plus bel endroit tout neuf, tout vernis ...
A Frutillar, tournant à droite à 90° pour joindre la ruta 5 qui, en 20 kilomètres de ruban autoroutier me mène à Puerto Varas, toujours au bord du lac Llanquilhué. Je fais sonner le péage puisque, ne payant pas, j'ai coupé le rayon mouchard. Pas grave, je lève le bras pour dire au revoir ...
Puerto Varas c'est un peu le Biarritz de mon enfance en pleine saison estivale : des gens partout mais avec des glaces, des sucettes, des gâteaux, déambulant insouciants sur la plage et ses abords. Mais pas encore la grosse fortune que l'on peut sentir par exemple à Pucon. A Puerto Varas, les gens s'étalent un peu partout, un peu n'importe comment. Des baignades mais surtout de la bronzette. Beaucoup de jeunes sac au dos ! Plus qu'ailleurs où je suis passé. La place centrale est bondée avec des piétons qui passent quelques minutes à écouter des musiciens jouant de la flûte andine ou jouant de la grosse caisse, avec les pieds qui martèlent en rythme les cymbales pitées sur le haut de la grosse caisse. Mais dès que le chapeau commence à circuler pour récolter quelques monnaies, un courant humain tout d'un coup se met en mouvement pour échapper au ... chapeau.
Journée assez relaxe malgré les bosses et les quelque 50 kilomètres. Demain, c'est le final, le retour à Puerto Montt.
Lundi 6 et mardi 7 février 2017 - Puerto Montt - clin d'oeil du soleil
Dernier jour de ce long périple. Une trentaine de kilomètres encore mais comme toujours il importe de rester concentré jusqu'au bout pour ne négliger aucun petit détail. C'est une obligation pour le solitaire. Le départ de Puerto Varas se fait sous un petit vent frisquet mais après quelques tours de pédales, le rythme doux, régulier, sans à coups, est retrouvé. Je ne pense même plus que je bouge les jambes. La tête est ailleurs me remémorant ce tour un peu fou que je viens de faire : les durs moments de la Carretera avec cette flotte et ces gros cailloux qui prenaient un malin plaisir à me faire déraper, basculer et quelques fois chuter, ces beaux paysages après Coyhaque marqués par le massif du Cerro Castillo, le trou noir de Los Antigos où je me sentais bloqué mais aussi les aides inattendues qui m'ont permis de m'échapper au Nord à Bariloche, puis ce retour par un redémarrage à vélo pour les circuits lacustres argentins et chiliens, l'ascension originale du volcan Villarica, l'arrivée sous un soleil éclatant à Puerto Montt.
1886 km de pédalage au compteur dont 730 km environ sur la Carretera Austral. Je vois même au loin vers le Sud-Sud-Est les montagnes enneigées des parcs nationaux Hornopiren et Pumalin. La Patagonie chilienne peut donc montrer ses beaux atours ! La baie de Reloncavi a même coloré ses eaux d'un bleu profond et intense.
Maria m'ouvre la porte de l'auberge où j'ai laissé quelques affaires pour le retour dont le précieux carton pour le vélo. Ce pauvre emballage, éclaté par le manutentionnaire de l'aéroport de Toulouse, est transpercé de toutes parts. J'avais un peu anticipé ce genre de problème en emportant un gros rouleau de toile collante. Collant à l'intérieur, collant à l'extérieur, petit à petit, le carton reprend de l'allure et finit par ressembler à un éclopé certes mais à un vrai emballage qui n'attend plus que le vélo. Méthodiquement, le dépeçage commence : dégonflage des pneus, détente du frein avant, enlèvement de la roue avant, de la selle, du guidon que l'on aligne sur le cadre avec des petits tendeurs, inversion des pédales, dévissage de la béquille, mise en place du tube pvc de 50 pour éviter l'écrasement des bras de la fourche avant en cas de choc ou de tassement par d'autres bagages, alignement de la roue avant le long du cadre, l'ensemble finissant par être ficelé comme un rôti pour, au cas où, éviter la perte de morceaux de vélo avec, chose bien sûr improbable, un éventuel crash du carton.
Le mari de Maria a un problème de tronçonneuse qui ne démarre pas. C'est une très belle Stihl avec une lame de 45 cm et qui a l'air de n'avoir jamais servi. Un peu d'essence, vérification du filtre à air, du bon contact de la bougie, starter, interrupteur sur On, poignet d'accélération appuyée, un coup et ... ça pétouille puis ça s'arrête. Normal. Starter repoussé, poignée d'accélération appuyée, un autre coup et ... ça marche. Le moteur fait un bruit d'enfer. La chaîne ne bouge pas. J'actionne le bras de sécurité pour déverrouiller l'embrayage de la chaîne et ... la chaîne s'enclenche. Todo va bene.
Il faut juste un peu tendre la chaîne. Tout est en ordre. Le mari de Maria, tout heureux, part au boulot après avoir congratulé le pseudo sorcier qui l'a dépanné.
Le fils de Maria, Antonio, qui doit me conduire à l'aéroport demain matin, est mal en point. Il a passé une nuit blanche, se plaint d'une douleur vive en bas du dos. Direction le médecin qui diagnostique un probable calcul dans les reins. Aïe ! dans tous sens du terme : pour Antonio d'abord - car une colique néphrétique ... on s'en souvient ! - et puis pour moi et le vélo demain ! Une heure après être revenu du cabinet médical, retour chez le docteur qui ordonne un scanner en urgence à l'hôpital. J'essaie d'interroger Maria, soucieuse, pour ... demain matin car le Mulet ne peut pas rentrer dans n'importe quelle voiture ! Réponse : taxi. Encore un truc qui ne va pas se régler facilement ... Trois heures après, le malade est rentré à la maison. Le scanner a permis d'identifier un calcul de 3 mm mais ... Antonio va mieux. Il me dit qu'il est sous morphine. Normal qu'il se sente mieux ! Il m'assure que demain matin ça ira, le médecin lui ayant donné des comprimés pour dilater l'uretère.
Mercredi - jeudi 8-9 février 2017 - 3 avions +200 dollars
Mercredi matin, lever à 7h car je ne sais pas comment est Antonio avec ses calculs au rein bien visibles sur l'image du scanner. Car la morphine est efficace mais ne dure qu'un temps pour ne plus sentir la douleur. Maria me dit que tout va bien. Antonio sort de sa chambre souriant. Donc ... il va pouvoir me conduire à l'aéroport de Puerto Montt. J'ai une urgence à ne pas oublier : faire tamponner par la douane de l'aéroport le papier "officiel" qu'un douanier m'a obligé de remplir pour le vélo lors de mon arrivée à Santiago. Le problème est que, contrairement à ce que le douanier de Santiago m'avait dit, il n'y a pas de douanier à Puerto Montt. Deuxième surprise : si à l'aller j'ai payé un supplément de 75 euros pour le transport du vélo, on me demande maintenant 200 dollars. Je peste de toutes mes forces mais rien n'y fait. Le seul avantage est que je n'ai pas à récupérer vélo et sacoches à Santiago pour les ré-enregistrer pour Madrid et Toulouse, les deux avions suivants. Le Chili est finalement un pays très cher. Par exemple, pour une petite assiette à dessert de crudités (salade + moitié de petit avocat), deux oeufs brouillés et 33 cl d'eau gazeuse le coût est de 15 euros (9500 pesos chiliens).
Le premier vol Puerto Montt - Santiago se fait avec un A320-200. Grosse qualité chilienne : les manutentionnaires à l'aéroport sont très attentifs à veiller au respect maximal des bagages. Le carton-vélo a été mené de champ (le vélo en position droite et à l'endroit) depuis l'enregistrement jusqu'au tapis roulant conduisant à la soute de l'avion. A Santiago, cette fois, le transfert est facilité n'ayant plus de bagage avec moi à réenregistrer. Mais, reste toujours le problème du papier "officiel" de la douane que je dois faire absolument tamponner pour sortir du Chili. Je passe les formalités pour les migrations, la police et cherche la douane ... On me fait descendre au rez-de-chaussée : pas de douane. après multiples demandes et aller-retours, je finis par trouver une petite fenêtre avec deux douaniers. Je leur montre le papier "officiel" signé et tamponné à l'aller par leur collègue. Ils ne connaissent pas ce papier qui, me dit-on, est une nouvelle formalité. Ils me demandent où est le vélo ? Ben ... dans le transit des bagages ! Un douanier compréhensif prend le fameux papier et me dit que c'est bon, que tout va bien. C'est peut-être ça aussi le Chili ...
Deuxième avion de nuit Santiago - Madrid : un superbe boeing 787-900 très haut de plafond, très long, avec deux réacteurs, mais aménagé de façon pas très pratique, avec des rangées de sièges 3-3-3 ce qui obligent aux 2-2 personnes côté hublot à déranger celui assis côté couloir. Ca peut paraître anodin mais en réalité assez embêtant pour celui qui est dérangé. Etude de cas : j'avais un siège côté hublot. Mais ... un couple avec un enfant souhaitait être avec 3 sièges côté hublot. Moi, le bon samaritan, ne voit aucun inconvénient à changer de place, sauf ... que je me retrouve côté couloir avec une dame et sa petite fille côté hublot. Et ... deux montées de moutarde au nez du cycliste. Quand on a le plateau du dîner devant soi, que la petite demande à aller faire pipi, on est obligé de faire l'équilibre pour laisser passer et ne pas tout renverser. Anodin mais ça s'est produit à trois reprises (pourtant la petite n'a pas de prostate ...) en moins d'une heure. Deuxième poussée d'adrénaline (et j'ai dû me faire violence pour me taire), alors que l'on traversait la cordillère des Andes avec un éclairage sublime de coucher de soleil, le volet du hublot de la petite était fermé, la maman et la petite regardant chacune de leur côté un dessin animé différent. Je me tordais dans tous les sens pour essayer de capturer avec mon appareil de photo l'Aconcagua au soleil couchant. Mais, comment, avec des paysages pareillement éclairés, on n'ait pas l'esprit captivé par un tel spectacle ? Non, le dessin animé sur le petit écran est plus captivant.
Troisième avion : Madrid - Toulouse. C'est toujours le même Embraer qui fait la liaison. Embarquement par bus. Montée rapide de l'avion en altitude avec temps superbe sur des paysages illuminés par les sommets enneigés. Le passage des Pyrénées est exceptionnel. On passe exactement au-dessus des montagnes entre vallée d'Aspe et vallée d'Ossau avec une vision rare de l'Ossau enneigé pris sous cet angle à 9000 mètres. Là, j'ai pu prendre des photos l'avion n'étant qu'à moitié rempli, et pouvant donc me déplacer de hublot en hublot.
L'heure de vérité au tapis roulant des bagages : Il faut trouver une pièce de 1 euro pour le chariot ... Les sacoches arrivent donc espoir peut-être pour le vélo. Je file au tapis pour les bagages de dimension exceptionnelle. Des skis, puis ça ferme. Sonnerie, et ... le tapis se met de nouveau en route. Là-bas, je vois un carton avec le dessin du vélo mais ... encore une fois tout ouvert. J'avais heureusement tout ficelé à l'intérieur. Rapide inspection : tout a l'air complet. Je remets du collant pour fermer à peu près en attendant mon fils Thomas qui doit venir me chercher.
J'oubliais : à Toulouse comme pour la traversée des Pyrénées, un ciel radieux !