Cappadoce 2023

   La Cappadoce est une région volcanique de l'Anatolie centrale dont les cendres durcies ont constitué le tuf, une formation friable qui, du fait de l'érosion et de la présence de blocs rocheux erratiques, a fait naître les cheminées de fées, et a permis le creusement de nombreux habitats troglodytiques, lieux de refuge au cours de l'Histoire notamment lors des persécutions chrétiennes aux premiers siècles de notre ère.

   C'est aujourd'hui un haut lieu du tourisme mondial avec notamment la pratique journalière très prisée de vols en montgolfières. La balade que j'envisage est, dans une première phase, une combinaison vélo, randonnées pédestres dans les vallées les plus spectaculaires (Ihlara, Amour, Blanche, Pigeons, Rose, Rouge), et si possible vol en montgolfière (Gorème), et dans une deuxième phase un parcours vélo par le Sud avec deux bosses au-dessus de 2000 mètres.

    L'itinéraire réalisé a été modifié pour tenir compte de la neige. Je suis passé plus au Sud de Nigde. Je mets ci-dessous la carte de l'itinéraire prévu et, dessous, la carte de l'itinéraire réalisé avec les points GPS de la balise satellite Garmin Inreach mini :

Garmin inReach Mini Orange [0]

 (Points GPS de la balise satellite Garmin Inreach mini) 

Lundi 17 avril 2023 - Préambule avec toujours quelques surprises …

Après quelques jours passés chez mes enfants, départ aujourd’hui pour la Cappadoce. Mon fils Thomas fait le chauffeur avisé dans les embouteillages de la rocade de Toulouse. Arrivée tip top après quelques ruses pour ne pas trop ramer dans les flots de véhicules. Le vélo est impeccablement emballé dans un carton Orbea. L’enregistrement est fait rapidement après moultes vérifications du poids, du paiement, de la destination. Le passage à la sécurité reste sous la grande vigilance des agents de sureté. La patrouille militaire scrute les moindres recoins. Ma sacoche cabine a été inspectée deux fois peut-être du fait du nombre d’instruments électroniques qui s’y trouvent : phare avant, compteurs, tablette ordinateur, batterie tampon, chargeur, capteur solaire, appareil de photos, balise satellite … Toute la panoplie du parfait électro-cycliste !

Le premier avion pour Istanbul est plein comme un oeuf (de Pâques !) avec entre autres quatre moines boudhistes. Vol sans encombre. A l’arrivée, il ne faut pas se tromper d’embranchements car la Cappadoce est en Turquie et donc il convient de prendre la filière vols domestiques. Bien sûr, je me trompe. La préposée au tampon sur le passeport me prend en photo, appose le césame qui permet d’entrer en Turquie mais … me refoule en voyant que je prends l’avion pour Konya. Je détricote les multples aller-retour qui me remettent dans le grand hall et file vers la bonne sortie. Où est le vélo ? … 

Des tapis roulants sans fin … Devant moi une fillette se coince le pied à la sortie du tapis. Pas moyen de se décoincer ! Heureusement ce n’est que le lacet défait qui la rend prisonnière. Un coup sec de ma part et le lacet se coupe. Libérée … mais pourquoi donc ces longs lacets non noués ? …

Les vols domestiques partent de l’ancienne aérogare. Hall 7B. L’avion est annoncé mais … d’abord avec 20 minutes de retard puis 40 minutes … L’airbus A320-200 finit par se pointer. Je piste les bagages mais rien pas de chariot visible. Je me fais à l’idée que le vélo ne sera pas à Konya aujourd’hui. Au bout d’une heure l’embarquement commence. Une vieille dame marche en brinquebalant ses jambes lentement. Derrière, les hommes renaclent un peu trouvant qu’elle fait bouchon. Je leur bloque le passage dans le toboggan qui mène à l’entrée de l’avion, aide la vieille femme à franchir la marche pour entrer dans la cabine. Etonnants ces comportements que j’avais déjà observés en Asie où la moindre attention et le respect des plus faibles ne semblent pas faire partie de l’élémentaire culture de base de  la vie sociale ! Tumultes dans l’arrière de l’avion plein. Un couple avec un petit enfant est contraint de sortir : sans doute une erreur. Mais la maman fait savoir haut et fort son mécontentement.

Va-t-on finir par décoller ? … Alerte bagages ! Contrôle de tous les bagages cabines ! Arrivé au tiers des bagages de l’avion, l’alerte cesse. Et … l’Airbus finit par prendre la voie des airs. Il fait nuit noire. L’atterrissage à Konya est long. Le tracteur qui emmène les bagages a dans le dernier chariot un énorme carton zébré de collants ! C’est le Mulet ! monté je ne sais comment dans la soute. Yasar, l’hôtelier qui est venu me chercher a une petite fourgonnette alors que bien sûr il m’avait certifié “no problem” … On finit par pouvoir fermer les portes avec le carton sur la tête … 

Mardi 18 avril 2023 - un début d’accoutumance … 

Repos un peu bruyant (la nuit ça … roule plus qu’à … Eysus) mais réparateur des tensions de la veille (vélo arrivé ou pas arrivé, avion toujours pas là une heure après l’heure affichée, passagers en surnombre, double contrôle des bagages cabine sans motif annoncé alors qu'on avait déjà plus d'une heure de retard… Petit-déjeuner à la turque (un peu sommaire et … sans tartines grillées ni jus de fruit). Bon, c’est le ramadan. 

Ce matin, un peu de boulot pour … remonter et vérifier le vélo, trouver une station d’essence pour faire le plein du réservoir du réchaud, gonfler les pneus à 3,5 bars (avec la pompe à main, on n’arrive pas à cette pression pourtant nécessaire en raison du chargement), acheter quelques provisions de route (bananes, pommes, biscuits, fromage, coca-cola 1,5 litres - seul volume adapté à mon porte-bidon, eau minérale pour potage et café du matin, repérer la sortie de Konya pour demain matin (qui est une ville relativement importante avec pas mal de routes à quatre voies qui se croisent et qui a un réseau tram-train), acheter une carte sim du pays afin de pouvoir, sans accès au wifi, trouver du réseau pour à la fois communiquer par téléphone et sms  Watsapp, mettre mes textes journaliers sur le site, me repérer avec les applications cartographiques Maps.Me, Google Earth, Google Maps, et … trouver un moyen de manger un peu en attendant le repas du soir à l’hôtel Domesan. Et … changer de l’argent !

La succession des opérations s’est déroulée sans difficulté comme si la Turquie voulait m’apprivoiser un peu. Ce qui a retenu mon attention : un réseau routier urbain très développé mais avec des quatre voies sans beaucoup d’entretien sur les autres voies secondaires, sur les trottoirs (beaucoup de trous et de bosses piégeuses), détritus pas mal éparpillés, des tram-trains qui circulent fréquemment avec même une rame rouge sang, sans vitres, spécialement dédiée aux … bicyclettes (photo à venir), un gros ensemble commercial qui est le repère pour tout acheter (trouver une carte sim locale … mais bien sûr on trouve ça à Kent Plaza !). J’ai trouvé un magasin qui vendait des morceaux de quiche fourrés aux … pâtes (excellent pour caler le cycliste !) et un double café filtre qui a fait du bien.

*

Le muezzin a chanté une fois vers 16h30. 

Journée de première adaptation pas passionnante mais nécessaire pour découvrir au mieux la Cappadoce qui, selon les personnes que j’ai déjà rencontrées, se trouve plus à l’Est. Alors, demain cap à l’Est. Le Mulet s'impatiente …

Mercredi 19 avril 2023 - Sultanhani cité du vent ?

Les petits yeux se sont ouverts tôt ce matin grand jour de départ avec le Mulet harnaché de tout le confort pour voyager. Les sacoches sont raisonnablement pleines de l’essentiel. Petit-déjeuner un peu avant 7h. Départ casqué, balisé, un quart d’heure après. Je pensais que dès la sortie de Konya, la circulation se ferait sur une route à deux voies. Que nenni, ce fut des quatre voies durant la centaine de kilomètres qui m’ont fait rejoindre Sultanhani où j’avais identifié un camping dans le centre. 

Malgré la précaution d’hier (où j’avais repéré la sortie de la ville), j’ai poursuivi une quatre voie après l’aéroport. Demi-tour au plus court donc en remontant à l’envers sur le bas-côté et en traversant par la bande de terre-plein central pour la “bonne” quatre voies. Tout le long, une belle voie de dégagement (en fait une bande latérale d’urgence) m’a permis de circuler tranquillement avec cependant pas mal de graviers et de pièces métalliques, de pneus éclatés, deux chiens écrasés mais … pas de trous. 

Tout le long, c’est … la négation du paysage ! Ce sont des immensités de terrains plus ou moins délaissés sans bosquets, sans haies (sauf une petite parcelle où l’on a planté des petits sapins enfermés à l’intérieur d’une clôture), avec de temps en temps des immensités bétonnés, sans village traversé. Trois troupeaux de brebis, de nombreux systèmes d’irrigation avec des cracheurs incitent à penser que l’on y fait des grandes cultures de céréales. Vision à l’infini de part et d’autre de l’axe routier. Le vent tourbillonnant m’a accompagné mais est devenu très mordant jusqu’à renverser le vélo (lors d'un arrêt). Des rafales qui m’ont fait penser à la région la plus terrible pour les rafales … la Patagonie. Du vent donc pas de pluie. 

Je suis accueilli par Mustapha au Camping Kervansaray qui me propose repas ce soir et petit-déjeuner avec des heures compatibles avec le ramadan. Sultanhani est assez visité par les touristes du fait de l'existence d’un caravansérail très ancien (XIIIe siècle) qui fut, d’après l’information lue, le plus grand de la Turquie. L’ensemble a été "restauré", se visite pour parcourir des suites de pièces vides où l’on a installé des radiateurs (?) de chauffage, avec une immense salle profonde constituée de cinq travées délimitées par quatre lignes de piliers de pierre où sont accrochés des tapisseries originales.

Konya - Sultanhani 106 km 10°C - 27°C avec localement 31°C   +281 m   -340 m  

Jeudi 20 avril 2023 - Ihlara et sa vallée : la Cappadoce commence !

Cette nuit sous la tente a été un peu bruyante en raison du volume sonore donné au muezzin mais aussi aux aboiements des chiens. J’en avais un qui m’a gardé toute la nuit couché à la porte de la tente ! Mustafa, le papa gérant du camping, était très content de m’avoir préparé un dîner maison hier soir et surtout de voir le cycliste français équipé de la sorte. Nous parlions un anglo-français … efficace pour se comprendre.

La fraîcheur matinale était encore là (5°C) tout comme ma grande solitude sur la quatre voies où je n’ai jamais rencontré un bipède pédalant. Confirmation aujourd’hui encore d’une exploitation agricole très intensive et irriguée avec des ensembles jumelés d’énormes silos à grains.

Mais … attention à ne pas faire trop confiance aux panneaux de circulation. Je suis allé trop loin pour prendre le bon embranchement à Aksaray. Les panneaux sont conçus pour favoriser certains itinéraires afin d’éviter des engorgements. J’ai fait non pas tant de kilomètres en plus que des montées musclées suivies d’autant de descentes pour rejoindre la route qui mène au village d’Ihlara, lieu de départ/arrivée de la vallée du même nom.

L’arrivée par la route à Ihlara se fait par des côtes longues et pentues qui obligent à rouler petit petit. Je ne me suis pas méfié mais le soleil combiné au vent m’a bien mordu les cuisses et les bras.

Enfin, dans les quarante derniers kilomètres j’ai commencé à voir un vrai paysage avec quelques petits villages, des paysans avec de petits champs, et … les lointaines montagnes enneigées du volcan Hasan (3253 m).

Akar, petit hôtel simple, sera mon gîte pour les deux nuits qui viennent. Car demain le vélo se repose : je fais la descente/remontée de la renommée vallée d’Ihlara. Ca y est, j’ai gagné la Cappadoce.

Sultanhani - Ihlara   91 km   5°C - 21°C   +685 m   -321 m

Vendredi 21 avril 2023 - Ihlara, vallée refuge …

Aujourd’hui journée à pied. La vallée d’Ihlara est une originalité renommée pour le tourisme en Turquie. Comme toute la région de Cappadoce elle fut le lieu de refuge des premiers chrétiens persécutés qui explique les constructions souterraines dont des villages entiers avec plusieurs niveaux de communication. Toutefois, la vallée d’Ihlara est encore une originalité naturelle avec un profil de canyon défendu par de puissantes falaises. Au creux de la vallée coule le tumultueux torrent Melendiz. C’est du village Ihlara en amont que je suis parti. Accéder au départ est un petit jeu de piste. Aujourd’hui, c'est vendredi, donc tout est fermé, et c'est la fin du ramadan. Le guichet d’entrée où il faut acheter un ticket est sans âme qui vive. Je descends rejoindre le bord du torrent assez impétueux pour suivre un large cheminement qui bientôt croise les premiers “trous” dans les falaises lisses ocres, les refuges troglodytes. Le cheminement se fait facilement jusqu’à plusieurs croisements où des panonceaux indiquent les divers lieux de prières que l’on peut approcher et, pour certains d’entre eux, pénétrer. Dans tous les cas, il faut gravir des escaliers en bois assez raides mais qui sécurisent bien le parcours. Arrivé à l’entrée un panneau explique ce que les historiens ont compris et de la construction par creusement et de l’utilisation qui en fut faite. Ces “églises” ont des peintures sur les parois et sur les voûtes qui ont été très abimées par le temps et/ou par les hommes. J’ai pu grimper voir Egritas Kilisesi, Kokar Kilisesi, Dark Castel Kilisesi, Jacinth Kilisesi, Snake Kilisesi, Karagedik Kilisesi, Kirdamalti Kilisesi, Direkli Kilisesi, Purenli Kilisesi. On imagine mal l’énorme travail de creusement de ces lieux de vie qui devinrent pour certains des nécropoles dont on voit encore les vasque creusées d’inhumation qui contenaient les corps (photos …).

La descente depuis Ihlara, je l’ai faite principalement par la rive droite du torrent Melendiz de façon à revenir par sa rive gauche après être arrivé au village de Belisirma. Que c’est agréable d’entendre le bruit permanent du torrent, les nouveaux chants d’oiseaux auxquels je n’étais pas habitué, de voir de grosses grenouilles s’appeler et se répondre, de surprendre un carabe au bleu étincelant que mon ami Claude m’aidera à identifier (Procerus scabrosus).

La remontée de la vallée par la rive gauche du torrent Melendiz débute au village de Belisirma par un gigantesque capharnaüm de marchands d’oranges pressés, de souvenirs de pacotille, un énorme parking pour véhicules dont les petits bus qui font la navette entre Ihlara et Belisirma.  A la différence de la rive droite, l’affluence devient parfois difficile à supporter toujours pour des questions de politesse : dans les passages étroits on laisse passer en général mais c’est sans jamais un mot de remerciement. Cependant, peu de monde au regard de ce qu’on peut lire sur internet.

Très belle journée, très originale. La vallée d’Ihlara vaut vraiment la visite : pèlerinage pour certains, témoignages de survie, nécropole, monastère … dans une Nature profonde, vivante, encore préservée.

Samedi 22 avril 2023 - Uchisar, entrée au coeur de la Cappadoce

Sympa le patron de l’hôtel Akar à Ihlara. Il a besoin d’un peu de pub sur Booking.com. Petit-déjeuner très rapide et très sommaire. Départ pour une étape qui me préoccupe en raison des côtes à gravir. Mais d’abord une descente à pente énorme … si les câbles lâchent … puis une remontée symétrique et très longue qui m’a fait poser le pied à terre pour terminer cette portion horrible de la sortie d’Ihlara vers l’Est. Après, un semblant de bonheur pour le cycliste : une route à deux voies sans quasiment de véhicules qui traverse la campagne et coupe par en-dessous les routes à deux fois deux voies. Le paysage n’est plus du tout passionnant à regarder car on retrouve les gigantesques étendues céréalières. Une douceur tout de même à l’horizon avec des montagnes dont les pentes sommitales sont encore enneigées. L’itinéraire est encore aujourd’hui en “montagnes russes”. Le temps est bon pas trop froid pas trop chaud avec une température autour de 15°C. Cette première moitié d’une quarantaine de kilomètres, par le silence et l’immensité traversée, reste un bon souvenir mais sans troupeau, sans paysan, sans forêt.

La deuxième moitié de même longueur se déroule sur la grande et longue quatre voies que j’ai empruntée depuis Konya. Changement de décor. Le ramadan est fini les touristes se précipitent les camions et les cars hurlent aux oreilles du cycliste esseulé qui, tant bien que mal, avance avec mille précautions tant les flux de circulation sont imposants. Quelques arrêts forcés pour grignoter et boire un coup m’ont permis de soulager un peu mon séant qui commence à se manifester et qui oblige à de fréquents changements de position sur la selle. 

Enfin, arrive Uchisar, petit village tranquille - d’après les commentateurs d’internet - mais qui me pose dans un autre monde. Des foules de touristes comme chez nous pour le 14 juillet ou le 15 août. De superbes voitures, des files indiennes de piétons petites chaussures de ville. Et … je cherche l’hôtel réservé qui n’est pas positionné à la bonne adresse dans Maps.me et dans Google maps. Il faut dire que l’hôtel Philosophia est un presque secret à trouver. Problème, le gérant me dit que ce soir je dors dans un autre hôtel mais que demain je dormirai là. Curieuse réservation … Pour trouver l’autre hôtel, là encore le positionnement Maps.me et Google maps est erroné. Je finis par trouver avec un accueil agréable et une belle chambre avec grand lit. Peut-être le remplacement vaut-il mieux que l’original ? On comparera demain.

Trouver un petit restaurant est facile : tout le centre du “village” en est rempli. Ayant acheté quelques provisions pour la balade de demain, j’ai sans difficulté réservé une table. Mais un monde fou dans ce centre avec une procession descendante qui venait de la Citadelle, haut lieu d’attraction que j’ai prévu de visiter demain après mon tour des vallées des Pigeons et de l’Amour.

Bilan de la journée : une appréhension un peu exagéré sauf pour la pente où j’ai dû mettre pied à terre, un parcours sur une route de campagne somme toute assez agréable mais avec des espaces infinis sans intérêt, une quarantaine de kilomètres bruyants et qui ont nécessité une attention permanente du fait de la densité du trafic, le contentement d’être à Uchisar une royale porte d’entrée au coeur de la Cappadoce.

Ihlara - Uchisar   81 km   8°C - 17°C   +639 m   -628 m    

Dimanche 23 avril 2023 - Somptueuses  …

... vallée des Pigeons, vallée de l’Amour, vallée Blanche ! On est stupéfait lorsque l'on prend en pleine figure les formations rocheuses exceptionnelles - au niveau mondial - que l’on découvre au fur et à mesure de la marche dans le fond de ces vallées. Ce qui est frappant c’est la couleur très claire - du beige au gris au blanc - de ces pans monumentaux de roche lisse, unie et bien sûr de ces gigantesques cheminées de fée construites par l’érosion. Les photos que l’on prend sont toujours originales et magnifiques surtout lorsque l'on a en arrière-plan un ciel bleu éclatant rehaussé de beaux nuages blancs. La marche est facile, longue, tortueuse, sur un sentier tourmenté qui passe parfois en tunnel. On découvre alors au fur et à mesure les pans monolithiques creusés de trous anciens, refuges de persécutés. L’érosion hydrique fut certainement très active car on peut évaluer à plusieurs dizaines de mètres le creusement par l’eau. 

Très peu de randonneurs en contraste avec la foule de touristes bigarrés de la petite ville d’Uchisar. Je suis parti faire la boucle des vallées dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, d’abord la vallée des Pigeons (sans les animaux, peut-être en raison des trous que l’on voit dans la roche ?) qui aboutit à Gorème mais qui se double d’autant de distance à la suite pour accrocher vers l’Ouest les abords de la vallée de l’Amour. Arrivé là, on n’en croit pas ses yeux devant ces formes phalliques qui pointent vers le ciel - ou qui font penser aussi à de gigantesques morilles par les chapeaux triangulaires des édifices. C’est là que l’on voit le manque voire l’incongruité de constructions qui n’ont rien à faire au pied des somptueux édifices rocheux, qui attirent en véhicules tout terrain, motos, quads des personnes qui n’ont probablement pas connu les joies de la marche … A l’évidence, ce doit être un secteur à protéger et donc à concevoir des formes de pratiques de découvertes et de cohérence des aménagements pour la gestion respectueuse des merveilles uniques que l’on approche en évitant tout excès dans les bruits, la pollution, les aménagements. Ce faisant - mais c’est loin d’être le cas - c’est l’Homme qu’on respecte en respectant la Nature. Heureusement les photos sont cadrées pour ne pas voir ce qui ne devrait pas exister. Avec les photos, tout est beau ! …

Le retour à Uchisar est parfois d’un cheminement délicat à trouver dans les ravines, les hautes herbes, les quelques rares arbres et arbustes. Je suis tombé au détour d’une montée raide sur un vendeur d’oranges pressés qui se plaignait d’un manque de touristes … L’arrivée à Uchisar se fait en butant sur la citadelle, une formation rocheuse qui domine la ville, et qui fut au cours de l’histoire également un énorme secteur refuge avec même des fortifications par les nombreuses salles, abris, remises creusés dans le tuf.

S’il a fait beau jusqu’en début d’après midi, le ciel s’est progressivement coloré en gris clair puis quasiment gris anthracite sur une partie. La pluie fine d’abord puis assez violente avec orages grondant et éclairs a conclu la journée. Et … a anéanti le beau projet de survol en montgolfière que j’ai programmé depuis longtemps pour demain lundi. Après une annonce par mail favorable, la consultation des services météorologiques nationaux a fait décider l’annulation des vols pour demain lundi. Alors report au lendemain mardi ? Réponse : les vols du mardi sont “full”, alors pour les vols du mercredi ? … Réponse en attente …

Balade pédestre d’une douzaine de kilomètres montants et descendants à souhait

 

Lundi 24 avril 2023 - Gorème … cité touristique

Quelques kilomètres après Uchisar, on entre dans le coeur de la Cappadoce. Les touristes de toutes nationalités s’y bousculent. La kyrielle de magasins de souvenirs, de restaurants, cafés, d’agences de voyage occupe presque tout l’espace du centre jusqu’à se coller aux superbes cheminées de fée. Gorème est la mecque du tourisme à tout va avec toutes sortes d’engins proposés qui luttent à qui mieux mieux pour faire le plus de bruit possible, les quatre quatre voitures et quads. Mais … il y a aussi des gens plus normaux et soucieux de ne pas trop marquer leur empreinte carbone et détritus et qui sont prévenants, ce qui est remarquable quand il y a foule. Car, arrivé à Gorème, Mulet au cachot, j’ai filé à pied au Musée en plein air à quelques kilomètres. Un monde fou venu en bus, en voiture, très peu à pied, faisait la queue pour acheter le billet d’entrée. En fait, c’est un musée qui nous fait nous déplacer d’église en église, l’ensemble étant très regroupé avec le point commun d’être enchassées dans ces étonnantes sculptures de tuf. Il reste sur les parois et les voutes des peintures retraçant la vie du Christ mais très abimées particulièrement aux visages. On y trouve, d’après l’information donnée, la plus ancienne église troglodyte du IXème siècle dont les très belles peintures sont l’objet de restauration. Les photos sont interdites. Je n’en mettrai que deux sur le site.

Alors, volera ? volera pas ? Le vol en montgolfière était prévu aujourd’hui. Du fait du très gros orage d’hier le vol a été annulé avec impossibilité de reporter à demain ou à après demain, les vols étant complets. Très décu. Mais ce matin au réveil j’en parle au gérant de l’hôtel Philosophia qui me dit peut-être trouver une solution. Après quelques coups de fil sans résultat, il a fini par trouver un vol possible pour demain mardi 25 avril. Inscription faite sans délai. Mais il fallait attendre d’abord confirmation de ma réservation, ensuite feu vert météo car ce matin encore des nuages et de la petite pluie. Le résultat final est arrivé à 16h30 : “Universal Istanbul, 04.15 pick up time”. Le réveil va sonner de très bonne heure ! Je reste encore un peu  sceptique car l’endroit où le petit bus doit venir me prendre est pentue, défoncé par les pluies diluviennes d’hier. Mais apparemment le gérant de Cococave (là où je crèche dans une chambre troglodyte !) n’est pas inquiet pour le bus.

 

Mardi 25 avril 2023 - Cappadoce vue du ciel

Journée mémorable. Après bien des douches froides (partira partira pas …), j’ai pu avoir une (toute) petite place dans le panier d’une montgolfière. Le temps, après une série d’orages sonores, lumineux, violents mais courts qui ont provoqué des rigoles énormes dans les rues montantes de Gorème, s’est enfin mis au  beau hier dans l’après-midi. Message magique reçu “Universal Istanbul 4h15 pick up time be ready at reception”.

A l’heure indiquée, le petit bus me prenait. Le chauffeur fit petit à petit le plein des candidats au baptême en montgolfière. Gorème encore endormi devint brutalement en proie à une circulation intense de petits cars Mercedes et Volkswagen, tous avec le même objectif : cueillir les chanceux qui ont pu avoir une place dans une nacelle d’une des nombreuses compagnies de montgolfières. Nous fûmes les premiers arrivés. Nuit noire, personne sur l’aire immense de décollage, pas un ballon en place. Devant, sur la route défilaient les quatre quatre avec l’énorme remorque portant les ballons avec toute la machinerie pour souffler et chauffer l’air devant être engouffré dans l’énorme toile pour la gonfler. Coup de téléphone … On n’était pas au bon endroit. Démarrage un peu brutal du chauffeur pour rejoindre le bon endroit où l’énorme ballon n’est encore qu’une misérable bâche étalée au sol. Les ventilateurs entrent en action. Petit à petit les bosses se multiplient, la poire prend du volume. Arrive le moment où la nacelle couchée sur le flanc lève le nez. Le ballon est désormais retenue par trois ou quatre hommes. On nous dit de monter vite pour faire du poids. 26 personnes dont quelques bipèdes à très fort gabarit. Comment cela peut-il décoller ? Un grand bruit et une puissante explosion : le réacteur vomit la chaleur qui dilatera l’air emprisonné. Quelques coups de lance-flamme et … la nacelle sans bruit se met en lévitation puis assez rapidement prend de la hauteur. Pas un bruit dans la nacelle ! Tout le monde est muet, impressionné par cette apparente facilité de décollage. Le pilote actionne de temps à autre la manette qui remet le chalumeau en route pour prendre plus d’altitude. Les autres montgolfières nous accompagnent sans rien dire. Elles ne peuvent que nous suivre car le vent est presque nul. Néanmoins en prenant de l’altitude Eole a l’air de se réveiller ce qui nous embarque au-dessus des cheminées de fée notamment vers les vallées rouges et roses à l’Est de Gorème. Le soleil pointe son nez à l’horizon. Les ballons prennent des couleurs avec l’éclairage qui augmente. Le ballet est émouvant, les ballons franchissent des crêtes presque à toucher le sol au passage - mais juste avant un petit coup de chalumeau pour rehausser le ballon. Tous les ballons sont étagés de 1300 à au moins 2500 mètres. Plusieurs dizaines font ainsi cette superbe danse au Soleil. A vrai dire, je ne suis pas très rassuré car aucun parachute, une toile au-dessus de nous qui, à plat, a l’air toute frêle et fragile, un panier en bois avec juste quelques poignets en osier qu’il nous est recommandé de tenir, un truc qu’on tire vers le bas qui ouvre le gaz qui s’enflamme … bé le sol est bien loin et bien bas ! Au bout d’une bonne heure de cette danse aérienne sans crier gare on finit par voir que nous sommes en phase descente depuis probablement un bon moment. On a tous les yeux rivés sur l’exceptionnel paysage qu’il nous est donné de contempler. Et … le quatre quatre est en vue, la remorque attelée. Le pilote arrive tout doucement à placer puis poser la nacelle … sur la remorque ! De suite des aides arrivent pour tenir les longerons afin de stabiliser la montgolfière qui presque à regret petit à petit souffle l’air emprisonné jusque là, pour finir par se coucher sur le flanc. La magie est finie !

De retour à l’hôtel, petit-déjeuner - il n’est que 8h30. Puis je file à pied faire une boucle “vallée rouge, vallée rose”, une dizaine de kilomètres en montées descentes sur des cheminements pas mal paumatoires car sans quasiment aucun panonceau indiquant lieu et direction. Le petit outil Maps.me m’a permis de ne me perdre que de quelques dizaines de mètres. Quelques passages en tunnels naturels, grimpettes gravillonneuses, descentes itou, mais dans une belle nature “presque” sauvage mais aucun aménagement choquant comme notamment à la vallée de l’Amour. Je n’ai rencontré encore là que sept ou huit personnes dont - mais elles n’ont pas dû aller bien loin - quelques-unes étaient totalement endimanchées avec petites chaussures vernies. Le soleil a été de la partie. Il semblait même très en forme. Dans la partie la plus basse et la plus proche du réseau routier, bruit … des quads qui, à la queue leu-leu, pétaradaient en roulant n’importe où, mais aussi cavaliers qui suivaient sagement le sentier. On “revient à la ville” ! … 

Merveilleuse journée. Les photos montreront je pense que cette Cappadoce reste un haut-lieu de la Nature mais aussi, par l'importance des vestiges troglodytiques stigmates de persécutions passées, est aussi un haut lieu de Mémoire.

A l'heure où je termine la rédaction de ce jour, le tonnerre se remet à gronder ...

 

 

 

Mercredi 26 avril 2023 - Zelve, Urgüp, Mustafapasa

Après la magnifique journée d’hier avec le vol en montgolfière et la balade à pied dans les vallées rouge et rose, je sens que le programme que je m’étais fixé est pour l’essentiel accompli. La Cappadoce n’est pas encore tout à fait visitée. Ce matin je reprends le vélo pour parcourir la zone plus au Nord et à l’Est : je laisse le capharnaüm du centre de Gorème pour filer vers Cavusin puis arrêt à Zelve qui a aussi un musée en plein air. Ticket office : on scanne et la porte s’ouvre. Le circuit se trouve dans un cirque rocheux très creusé avec des communications intérieures en étages et, bien sûr, des fenêtres dans les parois qui donnent sur l’extérieur. Il y a eu semble-t-il un monastère qui, si l’on en croit la hauteur des étages d’ouvertures dans le rocher, a dû recevoir de nombreux moines. Curiosité : une petite mosquée a été creusée avec un bâti supplémentaire en pierre : c’est l’indication donnée par les rares informations données. Plus loin, après quelques côtes qui font souffler, on atteint Urgüp qui, par l’étendue de ses constructions récentes, est un village très actif et laborieux moins seulement centré sur le tourisme comme le peut être Gorème. Tout au long de la route, au moins depuis Cavusin, on voit toujours les mêmes énormes massifs de tuf avec les cheminées de fée et les effets de l’érosion par l’eau. Encore plus au Sud, on atteint Mustafapasa dont le centre est très marqué par les incidences du tourisme et d’un mélange de tradition musulmane et d’influence de modernité notamment chez les jeunes, occidentalisées fortement dans les tenues et l’apparence.

Aujourd’hui donc reprise du vélo avec un peu la tête à l’envers qui me remémore ce que j’ai vécu de plus beau jusqu’à présent : le baptême de l’air en montgolfière, les très beaux parcours paysagers des vallées de l’Amour, Blanche, des Pigeons, Rouge, Rose, Ilhara. Demain direction plein Sud, étape un peu redoutée en raison du vent de face dont j'ai eu pas mal de rafales aujourd'hui, de l'étendue du kilométrage et de la dénivellation positive, et de l'état de fraicheur ... du bonhomme !

Gorème - Mustafapasa   26 km   10°C - 21°C   +385 m   -352 m

 

Jeudi 27 avril 2023 - Nigde, mais journée sévère

Sachant l’étape probablement longue, vu la météo, je suis parti de Mustafapasa  plus tôt que d’habitude. On devait me mettre un petit-déjeuner la veille dans ma chambre. Que nenni ! … J’ai croqué une banane et je suis parti vers 6h30. La sortie de Mustafapasa annonçait la couleur avec des pentes à plus de 10%. Mais pas de pluie. Je suis une petite route pour monter à Derinkuyu, route de campagne, accompagné par deux chiens qui me suivent en me regardant de temps en temps - je ne devais pas aller assez vite. Premières gouttes. Je fais le gros dos mais je me décide à m’équiper un peu plus : poncho et surchaussures pour éviter de me mouiller les pieds. Bien m’en a pris car les nuages gris-noirs du Sud m’ont arrosé sans ménagement. En plus, le vent s’est mis de la partie mais évidemment dans le mauvais sens. La grosse dénivellation étant montée, je file vers Derinkuyu la cité connue pour la ville souterraine. Aujourd’hui, pas de visite, j’ai trop de kilomètres à faire sous cette pluie battante avec vent contraire. Une ligne droite infinie s’ensuit. J’ai le nez dans le capuchon qui protège pas mal de la pluie mais ... pas du vent. Mon poncho gonfle, j’avance doucement. Une station-service sans personne, je dégage de la route pour m’abriter un peu et avaler un peu de fromage, une banane, des biscuits. Voilà que sort du bâtiment un homme âgé qui m’invite à rentrer pour me réchauffer. Depuis ce matin la température est restée très stable à +3°C : gants doublés de moufles. Un beau poële m’attendait. Le pompiste me met une chaise tout contre. Sympa l’accueil ! J’apprends qu’il n’a que 66 ans le vieux monsieur. 

Je repars, ragaillardi mais toujours dans les mêmes conditions : pluie, vent, froid, grande ligne droite. Je baisse la tête pour me protéger un maximum. Bifurcation entre deux quatre voies pour atteindre Nidge. L’option Maps.me est pour celle de droite. Obéissant, j’emprunte celle de droite. Une camionnette orange me dépasse, met les feux clignotants et se gare devant moi. Je me doute bien de la suite car, si je suis sur le bas-côté je suis bel et bien sur une très belle autoroute. Trois hommes à la couleur orange me montrent que c’est interdit aux vélos en me mettant un panneau sous le nez. Je leur réponds - et c’est vrai - qu’il n’y avait pas ce panneau à l’embranchement. Ils reconnaissent que c’est vrai, me demandent où je vais, et finissent par me souhaiter bonne route. Arrivé à la périphérie de Nidge - toujours encapuchonné - je prends la sortie et tombe sur le péage. Je me suis rappelé de l’astuce au Chili : pour éviter d’alerter il faut passer par le trottoir extérieur aux barrières. Gagné ! Pas d’alerte. Je file alors vers le centre-ville avec encore 12 km. Nigde est une ville importante. Ca grouille de monde. J’y suis arrivé ! J’avais des doutes ce matin quand j’ai vu le temps. Camper dans ces conditions ? J’ai renoncé. Un hôtel chauffé bien confortable m’a accuelli. Dure journée !

Mustafapasa - Nigde   97 km   3°C - 15°C   +697 m   -601 m

Vendredi 28 avril 2023 - Nigde Temps … repos !

Hier soir le tonnerre a encore grondé, et la pluie a continué. Bilan météo pour les trois jours à venir … faut éviter de regarder les prévisions. A chaque jour sa surprise ! Il a fallu prendre une décision : neige prévue à 2000 mètres et j’avais deux jours avec pédalage au-dessus de cette altitude, donc je dois modifier mon itinéraire pour arriver à temps pour le retour. Total : je file un peu plus au Sud où les altitudes sont sans neige.

Après calculs savants, j’ai un jour de surplus. Vu la situation, je reste un jour de plus à Nidge pour reprendre un peu de force et lessiver un peu.

Ca fait du bien de pouvoir lézarder - sauf que le soleil est aux abonnés absents - bien au chaud en regardant par la fenêtre les gouttes cogner les vitres et voir que le plafond nuageux est si bas qu’on ne voit que les toits des premières rangées de maisons. J’en profite pour faire le point du matériel, de la nourriture. 

Dans l’après-midi, je suis allé voir le musée archéologique de la ville qui expose pointes de flèches et de lances en obsidienne, toutes sortes de poteries, de bijoux, quelques momies, des sculptures animales (en pierre), toutes sortes de lames, dagues, lances, de très anciennes fenêtres et portes en bois sculpté, des tapisseries. Les plus anciennes pièces exposées datent de l’époque des Hittites (deuxième millénaire avant Jésus-Christ).

Une journée de repos qui fait du bien, avec une gâterie parfaite pour le cycliste : quelques baklavas …

Samedi 29 avril 2023 - De l’appréhension mais c’est passé …

La météo annonçait pour aujourd’hui dans la zone de Nidge où je suis : pluie, vent et neige à toutes les heures … Inutile de dire l’appréhension que j’avais de partir ce matin m’imaginant déjà bloqué par la neige, alors que j’ai tout calculé pour prendre l’avion de retour jeudi prochain. 

Diner musclé hier soir (2 pizzas) avec baklavas pour le goûter. Faut préparer la rude étape ! Réveil ce matin très tôt pour regarder la rue : non pas de neige … encore. Alors, vite préparé, j'harnache le vélo aux aurores et monte voir à tout hasard si un bout de petit-déjeuner est possible (il est 6h30). Je trouve un peu de yaourt, de la confiture, du café chaud. 

Je suis habillé pour presque tout supporter : multicouche mais jambes nues, tour du cou, casquette, poncho tenu par le casque, surchaussures. J’avais repéré hier le dédale des rues à parcourir pour sortir de Nidge. La balise satellite met beaucoup de temps à définir la position géographique. La pluie n’est pas trop forte. Je file, traverse la voie ferrée et finis par trouver une quatre voies qui deviendra une belle deux voies puis à nouveau deux fois deux voies pour buter sur … une autoroute, la seule possibilité donnée par mes deux sites cartographiques habituels. J’y vais … et finis par faire une vingtaine de kilomètres en rasant l’extérieur du bas-côté (mais au fond, en toute rationalité même si c'est interdit, c’est pas mal l’autoroute pour les vélos car la bande d’arrêt d’urgence est très large, la chaussée présente moins de pente en général que les voies ordinaires). Sortie pour prendre la direction d’Eregli mon point de destination aujourd'hui. Et c’est là que ça s’est compliqué car la seule solution est à nouveau l’autoroute et il me reste 35 kilomètres à faire ! Craignant de me faire repérer et ne voulant pas terminer ce séjour en “cabane” (!) je trouve un poste de police. J’y vais ? J’y vais pas ?  Au même moment une voiture banalisée arrive avec deux personnes habillées de pied en cap comme des … policiers. Je n’ai pas le choix. Anticipons les dégâts et c’est moi qui leur fais signe. Je leur dis que pour aller à Eregi je ne trouve pas le chemin. Ils m’invitent à entrer au Poste. Et me disent que la seule voie est … l’autoroute. Vélo interdit ! leur dis-je. Oui mais l’autoroute se termine dans deux kilomètres, à la suite c’est une simple deux fois deux voies. J’insiste un peu pour leur dire que je n’ai pas le droit de passer en vélo par l’autoroute. Les policiers se regardent et me disent  d’y aller quand même car … ça se termine l’interdiction deux kilomètres après l’entrée. Et ils m’invitent à prendre le thé. Bon, à la réflexion, d’abord ces policiers sont très sympas (ils ne m’ont pas demandé par où j’étais arrivé …), ensuite l’application de la réglementation est soumise à une certaine interprétation. Et de me souhaiter bonne route, Eregli étant à 35 kilomètres, et Konya à 180 kilomètres. Inespérée quand même cette situation.

Je précise que la météo ne s’est pas tout à fait trompée : la pluie a sévi  sur tout le trajet mais sans très grosses averses, le vent du Sud-Ouest (pile la direction que je prenais) a bien était présent, et … la neige est tout de même tombée à petits flocons dans la montée d’un petit col entre 1300 et 1490 m - altitude du col.

Mais que c’est bon de trouver une chambre chaude ! La température est très longtemps restée à 0°C avec un maximum à 5°C.

Nigde - Eregli   95 km   0°C - 5°C   +601 m   -784 m

Dimanche 30 avril 2023 - Karapinar et son … volcan

Difficile de partir d’un hôtel luxueux, bien chauffé, au petit-déjeuner exceptionnel … Le temps est toujours un peu frais mais, bon, pas de pluie. Je roule un peu en automate sur la deux fois deux voies qui dans deux jours me conduira à Konya. Eviter les trous et les divers matériaux encombrant la chaussée, ne pas trop regarder les abords jonchés de déchets plastiques et de gros pneus de camions éclatés … Tout ça encombre l’esprit. Pas terrible. Cette route est quasiment rectiligne mais c’est la seule possible pour joindre Karapinar. Beaucoup de camions, une bande de dégagement très large me rassure. 

C’est toujours encore le plat pays sans arbre aux champs sans limite. Pas bien intéressant. Sauf … deux troupeaux d’une centaine de brebis avec le berger qui contient ses ouailles pour éviter qu’elles aillent sur la route. Sauf … avant d’arriver à Karapinar un monument de la Nature tout à fait original : le double cratère volcanique du volcan Meke Maar qui contient un lac en corolle autour du second cratère, postérieur, centré dans le premier. Ce lac formé par l'explosion pyroclastique du cratère central, est aujourd'hui - récemment - beaucoup moins volumineux si l’on compare les photos des années passées. La structure en corolle du lac autour du cratère central semble particulièrement rare. Si ce site est reconnu au plan international (classé Ramsar), il ne paraît sur le terrain aucune disposition particulière pour gérer les visites : Ainsi on peut aller partout avec les voitures et autres engins motorisés. A noter que j’y ai vu un gros vol tourbillonnant de cigognes blanches. 

Karapinar est atteint après un peu moins de dix kilomètres du volcan. A la différence de la veille, je suis tombé dans une pension vraiment très très rustique, l’exact opposé d’Eregli. Très bas prix certes mais dortoir, salle d’eau à éviter, petit-déjeuner annoncé mais supprimé … J’arpente les rues pour essayer de trouver à manger. Je suis arrivé à faire accepter des pâtes à la bolognaise qui furent très bonnes bien qu’un peu trop pimentées. Mais alors que j’attendais tout content la belle assiette gonflée jusqu’à déborder, cinq jeunes gaillards d’une vingtaine d’années habillés et coiffés tous pareils me demandent de s’asseoir en rang d’oignons devant moi. Ils étaient intrigués et m’ont demandé si j’avais aimé la Turquie, quel âge j’avais, d’où je venais … questions classiques. Lorsque je leur ai dit que j’avais gravi le Mont Ararat, ils se sont levés et sont partis … et mes spaghettis sont arrivés payés avec un rabais conséquent du patron. 

Le gérant-propriétaire de mon dortoir m’a offert le thé et un potage “de printemps”. Espérons que mon organisme tiendra le coup avec cette inconnue printanière !

Eregli - Karapinar   59 km   3°C - 7°C   +104 m   -158 m

Lundi 1er mai 2023 - Ismil avec camping introuvable

Gla gla ce matin durant la vingtaine de kilomètres de début : 0°C ! Comme dit, le petit-déjeuner étant annoncé mais étant supprimé, j’ai avalé un double yaourt à la fraise et fait “la valise” de cet endroit sinistre et puant. L’air est froid mais bon ! Beaucoup de camions filent vers Konya. Une station Total ? Un coup d’arrêt avec pléthore de camionneurs qui cassent la croute … au chaud. Je vois des oeufs brouillés ! C’est ça qu’il me faut avec une caissette de tartines de pain, très mou mais qui passe bien. Je passe pour un ovni tellement je suis observé. C’est sûr qu’un type en short, qui pédale sans moteur, avec des gros bagages, la casquette et le casque de travers sur la tête, et qui dévore, et qui n’est ni turc ni allemand (c’est souvent ce qu’on me dit en premier), ça intrigue pour le moins ! Et quand ils arrivent à comprendre le trajet fait, alors rien ne va plus … Ca doit être un … basque !

Ca fait du bien de manger. 

Peu de kilomètres pour les deux dernières étapes. Sauf que j’ai fait du rabiot. Normalement d’après les informations données par Google maps confirmées par Maps.me, il y a un camping à Ismil. Je laisse la deux fois deux voies pour me diriger vers l’intérieur et trouver le camping. Voilà que je me fais héler par quatre compères attablés discutant et prenant le thé. Pas de refus, boire un petit coup ça me va bien. Photo de groupe souvenir, et je file vers le camping officiel. Un pressentiment me dit que ça ne va pas être simple. Déjà je constate que tant Google maps que Maps.me indiquent un itinéraire qui fait arriver dans les champs ! Je persévère, fais pas mal de kilomètres et, au bout d’un moment, retour en arrière vers le centre du village pour avoir des précisions. Des gendarmes sont là : je suis sauvé ! tous les deux se regardent et le chef me dit que c’est tout droit sur 200 mètres puis à droite au bout. J’exécute bien discipliné mais au bout … j’en viens ! Je retourne vers la mosquée et là, Google traduction sur tous les smartphones, après pas mal de bizarries (je demande à poser la tente quelque part au camping, on me demande où est ma tante ! et je réponds sur le porte bagage …). Je finis par comprendre que ledit camping de Google et de Maps a disparu d’Ismil. Quoi faire ? Je reviens vers les quatre compères qui m’ont offert le thé et leur demande un bout de terrain pour ma tente. Un peu gênés mais très sympathiques, ils me montrent  un endroit là bas à 100 mètres au pied de l’arbre. En réalité, en bordure de route, il est envahi de détritus de toutes natures dont de très nombreux morceaux de verre brisés. Je fais donc le ménage pour une surface de tente 2 places, et finis par lui donner une allure de … tente montée ! Total, il fait très beau (25°C ça change de ce matin !), j’ai de quoi me loger, alors casse-croûte lyophilisé Curry de pâtes au poulet. Le réchaud essence ronronne pour d’abord un velouté de tomates. Le café termine le banquet. Et … dodo !

Un bon cluc ça fait du bien ! Une voiture s’arrête - je suis tout près de la route qui mène à Ismil. Le chauffeur descend et me tend une poche de … dattes. L’inconnu donne à l’inconnu ! Peu après, père et fils viennent avec deux fauteuils de jardin me tenir compagnie. Les échanges sont limités mais Google traduction est à l’oeuvre. On finit par se dire quelques mots surtout avec le fiston qui a 13 ans et qui va à l’école à … Konya soit à près de 60 kilomètres d’ici. Je leur donne une datte (j’ai mangé toutes les autres tellement elles étaient bonnes !). Ils me disent que si j’ai besoin de quoi que ce soit ils sont là. Magnifique attention ! Ils sont étonnés que je dorme sous la tente car … il fait froid disent-ils. 

Le soleil se couche. La froidure va-t-elle se faire sentir ? Vite fermons les fermetures éclairs de la tente.

De beaux rêves !

Karapinar - Ismil   61 km   0°C - 26°C   +49 m   -45 m

Mardi 2 mai 2023 - Konya, la boucle s’achève

Ca pèle sec ce matin -2°C ! La tente apparaît un peu amidonnée pour la plier. Il est 6h. Le jour pointe déjà depuis quelques minutes. Le café chaud est pris grâce à ma bouteille thermos remplie hier soir. Le vélo est toujours là - cette nuit je me suis réveillé pour vérifier ! Dernière étape pour ce petit voyage dont l’intérêt principal est bien cette Cappadoce au relief et aux paysages très singuliers. Beaucoup de camions circulent même durant la nuit. Renault a dû avoir un très bon commercial il y a une trentaine d’années à voir le nombre de R12 Break et, dans une moindre mesure, de R9. Un point à noter : partout où j’ai pu avoir accès à une télévision, toutes les chaines françaises, occidentales en général, sont noires.

Le trajet pour relier Konya est quasiment rectiligne à deux fois deux voies pas très bien entretenues mais avec toujours une assez large voie de dégagement. De -2°C on passe très lentement à +1°C mais faut tout mettre surtout aux mains pour se dire que ça va …

Pas d’arrêt oeufs brouillés comme hier car rien n’est ouvert. Je suis peut-être parti trop tôt. Le Mulet sent l’écurie ! D’énormes silos - jusqu’à 24 tours ensemble ! - ponctuent les kilomètres révélant toujours une agriculture très industrielle. J’ai juste trouvé deux bergers avec quelques brebis bordant la chaussée : un contraste saisissant. Les champs sont terrassés un maximum sur des surfaces gigantesques. D’énormes tuyaux d’environ 1 mètre de diamètre sont posés les uns à la suite des autres attendant le creusement de la tranchée. Pas de panneau de renseignement. La banlieue de Konya est très étendue. Très difficile de se guider sans l’aide des outils cartographiques. L’hôtel Domesan est atteint bien avant la fin de la matinée. Je retrouve mes affaires de voyage laissées au départ de ma boucle. Le gérant de l’hôtel me conseille un restaurant où la viande est excellente et “a du goût”. Il m’y conduit, choisit un échantillon d’entrecôte, de brochette d’agneau, de porc. Excellent de fait. Une bonne sieste a suivi. Faisant le point de la monnaie, j’ai en gros 5000 lires turques en trop que je dois changer (autour de 240 euros). Yasar le gérant me conduit à quatre bijouteries qui font change. Curieusement dans les quatre il n’y a pas d’euros ni de dollars … Bizarre …

Ismil - Konya   -2°C - 14°C   56 km   +24 m   -14 m

Mercredi 3 mai 2023 - Konya, le retour

Aujourd’hui, je fais le ménage et je mets tout en format avion !

Quand je fais le point de ce que j’ai transporté et que je n’ai pas utilisé,c’est au moins la moitié du poids. Mais ça ne veut pas dire que la prochaine fois je diminuerai de moitié le poids des bagages. Mon chargement est constant. Si je n’ai pas utilisé mon sac à outils, mes trois jours de vivres de survie, ma pharmacie, c’est que tout s’est bien passé : je n’ai pas crevé, je n’ai pas cassé la chaîne, mes câbles de freins, de dérailleurs, je n’ai pas été bloqué, je n’ai pas été blessé, pas de panne de vélo, ni de bonhomme. Le système gravel très à la mode  est d’avoir le vélo le plus léger possible avec le minimum de bagage pour aller le plus vite possible. Ce n’est pas mon optique en bon pratiquant de la montagne en toutes saisons et en tout temps. J’essaie de prévenir les situations les plus diverses et donc d’adapter mon équipement au très mauvais temps. Cela pour éviter toutes déconvenues.

Les étapes qui peuvent paraître des étapes inutiles, sans intérêt paysager par exemple, sont des étapes d’accoutumance au pays dans lequel on se trouve, ou des étapes de transition pour mieux apprécier la beauté des étapes les plus désirées.

Dans cette boucle autour de la Cappadoce, j’ai pratiquement presque tout rencontré sauf le très mauvais temps (encore que j’ai eu des flocons de neige en montant le col avant Nigde) : de la grosse chaleur qui fait rougir et peler bras et jambes (entre Konya et Ihlara) à la pluie et au vent de face (de Urgup à Mustafapasa notamment), mais aussi des conditions favorables en température (de Ihlara à Uchisar à Urgup) ou même négatives (de Ismil à Konya). Les points marquants de ce périple ont été : le vol en montgolfière, la descente et remontée de la vallée d’Ihlara, la boucle Uchisar-vallée des pigeons-Gorème-vallée de l’amour-vallée blanche-citadelle d’Uchisar, la boucle vallée rouge-vallée rose depuis Gorème. 

Dans ces points phare, le vélo a assuré les liaisons.

La combinaison hôtel-tente m’a permis de caler des étapes adaptées en kilométrage à ce que je souhaitais avec les bienfaits de pouvoir vraiment se reposer dans un lit et au chaud !

La nourriture a été, un peu comme d’habitude pour moi, classique à dominante poulet-pâtes-frites-fromage-biscuits avec quelques écarts (beaucoup de crudités, kebab), bananes, coca cola, boissons gazeuses …

Les contacts avec la population locale rencontrée ont toujours été sans difficulté aucune, la barrière de la langue facilement surmontée avec le langage des mains mais aussi avec Google traduction, bien pratique même si parfois sujet à rigolade (comme tante pour tente …).

Financièrement, les écarts de prix restent conséquents entre le coeur de la Cappadoce et le reste : en gros 30% à 40% plus cher autour de Uchisar - Gorème - Urgup - Mustafapasa). A Konya j’étais dans un hôtel *** NN pour 30 euros la nuit. L’essence est à 1 euro dans tout le pays. On mange correctement pour 10 à 15 euros.

Et … pendant que je parlais en écrivant, le Mulet a été démonté, rangé soigneusement dans son carton, bien calé par la tente et le matelas coquille d’oeuf. Une aventure de plus se termine.

 

  

25 avril 2023 ... la montgolfière l'a fait !