Pérou 2010 - 2 (suite)
Samedi 1er mai 2010 : Toute la nuit, la tempête a sévi, et la pluie n'a pas cessé. J'ai opté pour du camion-stop pour sortir de la tempête. Le matin à 5h mes affaires étaient prêtes, le vélo harnaché des sacoches. Quelques camions se sont arrêtés pour un petit café. Et finalement, je n'ai pas eu de mal à me faire conduire jusqu'à 20 km en aval de Abancay soit durant 250 km. Durant ce trajet dans un 48 t, le vélo était à l'air libre, les sacoches aussi. Tout a continué à prendre la pluie, la grêle, la neige (la route était tout le temps à plus de 4000 m). On ne voyait presque rien du paysage. Je n'ai regretté qu'une superbe et longue descente que le camion a descendu à 20 km/h maximum. Vers 15h30, j'étais de nouveau sur le vélo. J'étais dégagé de cette souricière. J'ai pu trouver un hôtel correct pour me remettre un peu de ces trois jours. Finalement, il y a un petit défaut d'organisation quand on veut être autonome : il faut du change, mais lorsque le change est lui-même mouillé et que rien ne peut sécher, on est un peu pris au piège de devoir se faire aider ou acheminer si l'on veut garder un peu de force et ne pas être malade puisque ... ca continue ! Mais le Pérou a sacrément besoin d'avoir de bonnes et justes cartes !
Camion 250 km et vélo 25 km Refuge 4100 m - Abancay
Dimanche 2 mai 2010 : Abancay est perché à 3300 m. Hier, après le camion-stop, j'ai grimpé les 20 derniers km pour l'atteindre. Hôtel correct, reposant, surtout après la très spéciale nuit précédente. Je suis parti assez tôt car Abancay est tout en pente directe, avec le petit pignon et le petit plateau ... et cela a duré jusqu'à 13h. Pénible d'avancer encore et toujours à 5-6 km/h. J'ai croisé un cycliste du coin qui m'a accompagné sur quelques km. La pluie de la nuit avait dégagé le ciel, et laissé voir un très beau "névé permanent" comme ils disent ici. Paysage ressemblant un peu à ce que l'on peut voir à La Réunion avec les villages en balcon et la montagne qui se referme derrière, et qu'il faut franchir. Pente donc raide mais route toujours bien tracée. La fatigue commençait à se faire sentir, donc boire, et ... manger un peu parce que l'on n'a pas faim. Passée la crête vers 3800 m, je plonge (enfin !) sur une autre vallée qui aboutit au village de Curahuasi où je loge ce soir dans un hospedaje. Magnifique descente plein pot avec des couleurs de paysage assez étonnantes du fait des cultures pratiquées. On change complètement de climat : très chaud et sec. Je me suis arrêté à 15h à ce village pour être à peu près sûr de me reposer car ... les inconnues sont de taille : au lieu des 90 km prévus, j'en ai encore 140 avec passage de la route à 4500 m. Le village est à 2650 m ... Donc, demain encore, un gros truc à faire. Cusco la désirée ne sera au mieux que pour après-demain.
Abancay - Curahuasi 72 km, +1630 m, - 1245 m, 6h30 - 15h30
Lundi 3 mai 2010 : Atteindre Cusco était l'étape qui me faisait un peu peur d'abord vu l'incertitude du kilométrage - et surtout des altitudes à franchir - ensuite parce que la veille au soir (2 mai), le cycliste était ... assez malade, probablement d'avoir bu une excellente boisson au citron mais aussi probablement faite avec de l'eau pas facile à supporter pour un estomac d'européen : mais c'était tellement bon ! Le soir, je m'étais promis de bien manger avec une superbe truite ... j'ai presque tout laissé. Le matin du 3 mai, je suis un peu patraque. On frappe à ma porte de chambre de l'hospedaje avec "Andres" : surprise ! C'était un géomètre que j'avais rencontré la veille au soir. Il me proposait de m'embarquer avec le vélo sur 50 km pour me faire gagner du temps. C'était la providence qui me l'envoyait ! Après hésitation, mais vu mon état physique pas encore rétabli, j'accepte. Cela me fit gagner un peu de temps mais pas d'altitude car on n'a fait que descendre. Il me déposa ... au pied de la montée ! Elle fut rude comme vous pouvez l'imaginer, très rude, très très rude ... à 4-5 km/h soit à peu près la vitesse de marche. Mais ... tout a une fin. Je passe le point le plus haut, et je bascule dans une nouvelle vallée, plus chaude plus protégée, avec une superbe descente. Que c'est bon quand on en a bavé pendant des heures à 5 km/h. Et là, miracle, une banane, de la boisson ... bonne, en bouteille cette fois-ci (coca éternel), de superbes paysages encore, et le bonhomme a repris des couleurs, de la forme. Je voulais coucher avant Cusco mais finalement j'ai encore pédalé, monté des pentes et ... j'ai téléphoné à Arnaud, le français qui m'avait été recommandé à Lima : il pouvait me recevoir le soir même. J'appuie donc un peu plus sur les pédales et arrive à la pénombre à Lima, Plaza des Armas. Là, je suis accosté par un jeune couple français qui avait fait le tour de l'Amérique du Sud en tandem. Puis accueil chez Arnaud ... un régal.
Ca y est, je suis sorti de cet itinéraire terrible, de Nazca à Cusco. Comme Dominique me l'a recommandé, je vais rester trois nuits à Cusco pour me refaire un peu. Mais ça va déjà beaucoup mieux. Peut-être faut-il que je repense mon itinéraire en transformant le marathon continu en un voyage un peu plus intelligent sans être après la course au temps. On va réfléchir ... et visiter le vieux Cusco ainsi que, si possible, Machu Picchu.
Curahuasi - Cusco 50 km camion et 84 km vélo, +1860 m, - 1165 m, 8h - 17h
Mardi 4 mai 2010 : Passer une journée autour de la Place des Armas à Cusco à flâner, visiter la très belle cathédrale, se gaver au restaurant ... ça fait du bien. En revanche, tout plein de monde avec beaucoup, beaucoup de mendicité. On vous accoste en permanence. Ce n'est pas très original mais c'est vraiment gavant au bout d'un moment. De la surveillance policière partout, beaucoup de marchands du temple, mais ... c'est tout de même unique et à voir. Toutes les visites sont payantes et c'est même cher pour le touriste (la visite d'un site archéologique au-dessus de la ville n'en coûte pas moins de 14 repas quotidiens habituels (5 soles). Mais l'altitude se fait toujours sentir lorsque vous voulez faire un mouvement un peu rapide ou brusque (on est à 3350m). Ce soir cool. Pour demain, normalement, la virée touristique aux racines de la chienne de Laure, Pierre, Baptiste, Amaïa, ... qui s'appelle Pichu !
Mercredi 5 Mai 2010 : Machu Picchu ! Qui n'a pas rêvé d'aller voir cette énième merveille de la terre ! Dur d'y arriver mais quand on y est, on a beau avoir l'expérience de sites "uniques" "patrimoniaux", on est quand même sous la magie des lieux. C'est sûr qu'il y a quelque chose de ressenti, d'ineffable, de difficile à verbaliser, mais bien une certaine force liée à la manière dont les lieux ont été compris, aménagés, organisés. Ce qui pourrait frapper d'abord un spécialiste en aménagement de l'espace est le regard qu'a dû porter le concepteur de l'aménagement de ces lieux avec la prise en compte de toutes les dimensions : éléments vitaux comme l'amenée d'eau comme la production vivrière, éléments d'ingénierie pour utiliser les matériaux existants sur place, éléments d'organisation de l'espace en dissociant le cultivé et l'habitat, éléments cosmogoniques pour intégrer l'aménagement réalisé aux cycles du climat et aux forces du cosmos. Tout cela paraît assez exceptionnel compte tenu des possibilités techniques de l'époque, mais ... n'en fait-on pas trop ? N'interprète-t-on pas par excès un peu comme pour les auteurs célèbres, et puis, et peut-être surtout, que ressort-il de la vie sociale, individuelle de ce système (car il s'est agi probablement d'un système intégrant toutes les dimensions) ? L'homme de l'époque était-il heureux ? Ne faut-il pas relativiser ce côté réellement exceptionnel de la dimension ingénierie au regard finalement d'un résultat qui est une ... disparition que l'on honore aujourd'hui ?
Jeudi 6 mai 2010 : Cusco était radieuse à 6 heures ce matin. Le cycliste était en forme, prêt à avaler les paysages et les km. Evidemment, je me suis fourvoyé dans Cusco malgré les très claires explications d'Arnaud Lagadec qui m'a logé. Total, encore des km en plus mais bôf ! La vallée que l'on suit pour joindre la belle cite de Sicuani puis ensuite Puno aux portes du lac Titicaca, est parsemée de lagunas très prisées des touristes. La route les dévoile au fur et à mesure. Le paysage est très habité, très varié. Ca monte un peu mais pas trop. Enfin je peux dépasser les 20 km/h. Vers 15h, alors que je venais de faire quelque 100 km, j'envisage de camper. En bout de la grand-route goudronnée, une grande masse ombrée de très beaux arbres. En fait, c'est un S que fait la route qui traverse là une forêt. J'aperçois une ombre qui bouge sur le bas-côté, puis une deuxième, et enfin une troisième sur le bas-côté opposé. Curieux ! Je continue d'avancer, les ombres se dressent : trois hommes. Très bizarre. J'ai le pressentiment qu'il va se passer quelque chose de pas nécessairement bon pour moi. De fait, un des hommes lève le bras : un accident ? Le deuxième homme de l'autre côté de la route se lève. Tous les deux avancent sur la chaussée pour, avec insistance, me demander par geste de m'arrêter. Le troisième homme reste de l'autre côté de la chaussée. Je comprends alors très bien le risque compte tenu de ce que l'on m'a déjà raconté. Il s'agit bien de bandidos. J'avance normalement en roulant vers celui qui fait signe d'arrêter. Arrivé au plus près de lui, je fais un gros écart à gauche et accélère très fort. L'homme arrive malgré tout à me saisir par le bras droit. Ayant un peu imaginé le scénario, je tiens évidemment très fort mon guidon. Il ne me fait pas tomber et lui-même fait ... un demi-tour qui l'a fait lâcher prise. J'accélère en gueulant tant que je peux, mais ... personne hormis ses compères ! Je m'attends alors à être facilement rejoint (le maximum de vitesse avec un vélo de 50-60 kg n'est pas bien élevé). Non, ils ont dû juger qu'un petit cycliste n'était peut-être pas une bonne opération pour eux. J'appuie tant que je peux sur mes pédales pendant des km sur cette unique route qui n'est à cet endroit pas très fréquentée, ce qui en fait aussi son charme. Je regardais en permanence dans le rétroviseur, et m'arrêtais un peu lorsque je voyais quelqu'un sur le bord de la route ou dans les champs. J'ai fini par arriver dans plusieurs pueblos avant Sicuani, la ville ou je ne pensais pas arriver ce soir compte tenu du kilométrage depuis Cusco. A l'entrée de Sicuani, le poste de police. Je signale le fait. Les policiers qui ne paraissaient pas surpris, sont partis de suite en voiture vers le lieu indiqué. Moi, je plonge dans un petit hôtel près de la place d'Armes, ferme la porte à clef et ... respire fort, fait l'état de tout ce qui aurait pu arriver avec les conséquences associées : pertes d'argent, de matériel, de passeport, sévices divers ... J'ai écrit un mot à Dominique, à Laure et à Thomas de suite. Puis ... j'ai savouré une bière en expliquant tout au tenancier puis à la patronne du snack où j'ai ensuite mangé un bout.
Cet épisode me fout un coup ! Comment envisager de camper voire même de traverser des zones isolées dans de telles conditions ! Dominique, Laure et Thomas m'aideront à prendre la bonne option. Le risque pour moi est d'autant plus grand que je suis évidemment très facilement repérable sur la route (combien de salutations sympathiques de camionneurs et de conducteurs de voitures qui font régulièrement le trajet Lima-Cusco-Puno-Titicaca, et qui m'ont plusieurs fois reconnu). Je suis le seul cycliste à rouler dans ces conditions. J'ai besoin d'y voir plus clair et me donne deux jours pour essayer de prendre l'option la plus réaliste. Demain, je vais essayer de joindre Puno en bus. L'avantage est d'éviter Juliaca - ville réputée pour ses ... bandidos -, et de me trouver tout de même à 250 km de "mes bandidos". Décidément, le Pérou n'est pas pour les touristes en ce moment, aussi sympathique qu'on le penserait. Déjà, hier soir ... un tremblement de terre s'est produit (risque 6) avec l'épicentre à Tacna, la dernière ville avant le Chili ...
Cusco - Sicuani 149 km, +1100 m, - 865 m, 7h - 17h
Vendredi 7 mai 2010 : Les péruviens sont étonnants pour des français. Dans le bus qui me conduit de Sicuani à Puno, j'ai trouvé drôle de voir une cloison avec une porte entre le chauffeur et les passagers. J'ai compris un peu après le départ vers 11h : le Pérou a cette originalité d'accepter dans les bus des commerciaux qui font des présentations - fortement sonorisées comme il se doit - pour des produits. Et cela dure ... plus d'une heure pour chaque présentation avec, bien sûr, un bonhomme qui débite à 100 à l'heure son topo. Aujourd'hui, il y en a eu deux sur la nourriture avec, au bout du compte la vente de compléments alimentaires. Bien sûr, cela commence toujours par le Gouvernement qui a déclaré que la question alimentaire était un "affaire nationale de santé publique". Les péruviens sont très crédules, semble-t-il. On leur montrait des dessins justifiant que LE complément en question était indispensable pour le foetus, pour l'enfant, pour l'époux, pour l'épouse, pour ... Et au total, après avoir vanté les bienfaits de l'huile végétale et des omega 3, les commerciaux ont fini par vendre - en promotion bien sûr - les paquets, puis un livre, puis un CD de musique. Cela s'est répété deux fois ... avec les mêmes passagers pour des produits différents bien sûr....
Le parcours de Sicuani à Puno est assez joli avec montée progressive sur l'altiplano qui est assez bien occupé par le bétail, par les cultures dont le blé qui est coupé à la faucille et battu au fléau manuellement. En prenant ainsi le bus, j'ai éloigné un peu le spectre de mes bandidos d'hier. Puno est une très grande ville, très touristique, apparemment sans problème. Les gens sont d'un abord facile et renseignent très aimablement. J'ai pris un hospedaje pour deux nuits. L'altitude sera désormais toujours au minimum de 3800-3900 m. Puno est située contre le lac Titicaca avec les célèbres îles qui sont proches.
Samedi 8 mai 2010 : Toutou !... j'ai fait le vrai touriste ce matin. J'ai pris le "bateau-mouche" pour les îles Uros sur le lac Titicaca situées à environ 30 à 40 minutes de bateau. Ces îles sont en réalité des créations humaines. On les a fabriquées à partir de pieds de végétaux (la totora) recueillis dans le lac avec une très grosse motte de l'ordre de 50 cm de côté sur 70 cm de profondeur. Ces mottes sont ensuite reliées et serrées avec des cordes. L'ensemble est fixé avec des pieux dans le fond du lac (peu profond à cet endroit), sinon tout dériverait. Puis, par dessus, on dépose une couche un peu épaisse de roseaux puis une autre couche, etc ..., le tout constituant un quadrillage assez épais. L'ensemble flotte. Lorsqu'on marche dessus, évidemment le pied est un peu instable. Sur ces îles, ils ont construit des cabanes en roseaux, et ont fabriqué des barques en roseaux. Des trous de 10 m x 10 m ont été laissés dans cet assemblage pour permettre l'aquaculture avec notamment des truites. Ainsi, quelques familles arrivent à bien vivre, mais ... à quel prix ! Ils sont déguisés en permanence pour les bateaux de touristes qui accostent toutes les deux heures. Ils chantent pour les toutous, ils jouent pour les toutous, ils font semblant de pêcher pour les toutous ... Avantage à leur honneur : l'artisanat est assez original tant par les tapisseries qu'ils confectionnent, très colorées, que par les miniatures fabriquées en roseau, répliques de leur bateau traditionnel, et de leurs cabanes. Bien sûr, le toutou se fait solliciter très fort, par exemple pour embarquer en payant sur leurs barques en roseau assemblées en double comme des coques de "catamaran", pour manger, pour boire ... bref, le classique des classiques. On revient trois heures après au port de Puno. Ca vaut le coup quand même. A Puno, la Plaza des Armas n'a rien à voir avec l'exceptionnelle plaza de Cusco. Mais la vie à Puno semble assez tranquille avec des rues au carré que prennent difficilement les petits bus. Heureusement qu'il n'y a pas trop de diesel car la circulation est très intense. Les gens semblent néanmoins assez calmes. Les voitures respectent à peu près le piéton (exceptionnel pour le Pérou). Quant au vélo, il est resté à l'hospedaje manger un peu de foin et d'avoine car il en aura besoin demain !
Puno - Desaguadero 153 km, +630 m - 615 m 6h15 - 16h30